
Cet article a été écrit par Marilie Tison-Grosrichard et Frédéric Perissat. Il est issu du n°73 de la LIREC.
En 2023, Mayotte a été confrontée à une sécheresse sans précédent. La saison des pluies 2022-2023 a été la plus sèche enregistrée à Mayotte depuis 60 ans, à l’exception de l’année 1997, engendrant un niveau des retenues collinaires qui n’a jamais été aussi bas à cette période et un étiage des cours d’eau intervenu avec deux mois d’avance. Cette situation a exacerbé le déficit structurel de la production d’eau dans le département, inférieure aux besoins théoriques de 43 000 m³/jour alimenté par le développement (77% de la population vivant sous le seuil de pauvreté) et la croissance démographique de l’île (augmentation de la population de 3.8% par an).
Dans l’objectif de préserver la ressource disponible et d’éviter la vidange prématurée des retenues, certains usages de l’eau ont été limités dans le département. L’accès à l’eau potable et sanitaire a également été davantage restreint. Les tours d’eau, déjà en place sur le territoire, ont été renforcés à partir de fin juin 2023 et se sont encore durcis à partir du 20 novembre 2023 et ce jusqu’au 1er mars 2024. Toutefois, ces mesures ont dû être complétées par une distribution de bouteilles d’eau, à toute la population, organisée par l’État en provenance de la Réunion et de l’île Maurice, renforcé par des importations depuis l’hexagone.
La crise de l’eau 2023-2024 a été l’illustration de l’extrême vulnérabilité de ce territoire. L’explosion démographique de l’île ne s’est pas accompagnée d’un redimensionnement de la production et de la distribution des ressources en eau.
La gestion de la crise de l'eau par la cellule interministérielle de crise (CIC)
Compte tenu de cette situation aiguë, en considération de l’absence prolongée de précipitations et l’insuffisance des ressources locales, la cellule interministérielle de crise (CIC) a été activée par la Première ministre le 20 juin 2023 afin de coordonner les actions immédiates pour accroître la ressource en eau disponible pour la population et engager les travaux structurels de plus long terme. La CIC s’est réunie régulièrement en format décision du 20 juin 2023 au 7 février 2024 et la fonction anticipation a été mobilisée du 22 septembre 2023 au 9 février 2024.
Dans ce cadre, a été nommé, à compter du mois d’octobre 2024, un Directeur délégué de crise de la CIC permanente relative à la pénurie d’eau à Mayotte afin de suivre la mise en œuvre des décisions prises par l’État pour répondre à la crise et garantir un accès à l’eau à l’ensemble de la population jusqu’à ce que la production d’eau soit normalisée. Il a également eu pour objectif de suivre les travaux d’urgence mis en œuvre pour préparer la saison sèche 2024.
Organisation générale
Organisation de la CIC eau Mayotte
Elle se décline en 3 fonctions distinctes :
– Une cellule en charge de la coordination interministérielle (CCIL) logistique (animation ministère de la Transition écologique et de la cohésion des territoires (MTECT-HFD).
– Une cellule interministérielle anticipation (CIC anticipation) : avec un directeur délégué, proposé par le ministre de l’Intérieur et des Outre-mer et placé auprès du Cabinet de la Première ministre.
– Une cellule interministérielle de crise décision (CIC décision) : sous la direction du directeur de cabinet de la Première ministre (PM).
Le rôle de la CIC « décision » et « anticipation » est d’accompagner le préfet de Mayotte dans la coordination de crise tant sur l’aspect budgétaire que logistique par une coordination interministérielle, le suivi des opérations de réparation de fuites et d’installation d’un osmoseur, le pilotage de la gouvernance de l’eau, le suivi du dispositif d’aides aux entreprises et au secteur agricole, le suivi de la situation sanitaire et le suivi des renforts (sécurité civile, sanitaire, éducation nationale, armée, écologie).
La comitologie
La CIC décision est convoquée toutes les 6 semaines et sur sollicitation du Cabinet PM afin de procéder aux arbitrages en fonction de l’évolution de la situation locale. Elle décide notamment de l’activation de la CIC « anticipation ». Elle est préparée par les cabinets (Première ministre (PM), ministère de l’Intérieur (MI), ministère des Départements et territoires d’outre-mer (MDOM) et la CIC « anticipation ».
La CIC « anticipation » siège en permanence et a en charge le suivi de la mise en œuvre des décisions actées par la CIC « décision ». Elle sert d’interface entre le préfet de Mayotte, sa cellule « eau » et les différents ministères ou partenaires impliqués dans la gestion de la crise. Elle réunit une fois par semaine l’ensemble des acteurs étatiques impliqués dans la crise des trois échelons : central, zonal et local. Elle produit un compte-rendu et un tableau synoptique hebdomadaires, afin de rendre compte de l’avancement des dossiers, de son activité et de solliciter des arbitrages le cas échéant.
Le directeur délégué de crise produit une note stratégique bimensuelle au profit des cabinets Première ministre, intérieur et Outre-mer. Une réunion hebdomadaire associe les cabinets Intérieur, Outre-mer et le directeur délégué pour les arbitrages intermédiaires entre les CIC décisions.
L'armement de la CIC anticipation
La cellule « anticipation » est gréée par :
– 1 préfet, directeur délégué de la CIC anticipation eau Mayotte
– 1 officier supérieur Centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC)
– 1 attachée Direction générale de la – sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)
– 1 sous-officier des Formations militaires de la sécurité civile (FORMISC) 1.
– Des correspondants des ministères principalement impliqués : Mission transition écologique et cohésion des territoires, (MTECT) (Conseil de coordination interministériel de la logistique (MTECT CCIL Logistique), ministère de la Santé et de la prévention (MSP, urgences sanitaires), ministère des Départements et des outre-mer et Direction générale des outre-mer (MDOM-DGOM), support budgétaire et juridique) qui viennent en présentiel sur demande mais sont pré-identifiés par leur département ministériel afin de répondre en permanence à toute sollicitation de la CIC.
Cette structure est mise en place sur instruction du cabinet du PM, elle fonctionne en présentiel du lundi au vendredi sur les horaires ouvrés sauf urgence.
La CCIL est chargée de tous les aspects logistiques au profit des besoins exprimés par la préfecture de Mayotte en collaboration avec l’ensemble des services territoriaux de l’Etat. Elle fait appel pour cela aux marchés nationaux existants principalement avec l’Économat des armées (EDA) et le Secrétariat à l’administration interministérielle et à la logistique du ministère de l’Intérieur (SAILMI) du MI notamment pour les opérateurs logistiques.
Elle se réunit de manière hebdomadaire sous la présidence du directeur délégué, un ou deux jours avant la CIC, et produit un point de situation qui compile l’avancement des dossiers et les arbitrages rendus s’agissant de moyens matériels et financiers.
La cellule de coordination interministérielle logistique (CCIL) a été animée par le ministère de la Transition écologique afin de travailler sur la logistique d’approvisionnement des bouteilles d’eau potable à Mayotte. En effet, lors de la CIC du 26 septembre 2023 il avait été acté d’envoyer à Mayotte 500 000 litres par jour d’eau potable en bouteille, soit 3,5 millions de litres par semaine. La CCIL est ainsi restée activée jusqu’en avril 2024.
Acteurs spécifiques locaux
Localement, le préfet de Mayotte a été appuyé par un préfet réserviste spécifiquement dédié à la gestion de la crise de l’eau. Deux instances ont été créées par le préfet pour l’appuyer dans sa prise de décision :
– le comité de suivi de la ressource en eau (CSRE) composé du secrétariat général commun départemental, la direction de l’environnement, de l’aménagement, du logement et de la mer de Mayotte (DEALM), l’agence régionale de santé, le syndicat des eaux (LEMA), la société mahoraise des eaux, Météo-France et la sécurité civile.
– la cellule de crise eau (CCE) composée de l’agence régionale de santé, le secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR), la direction de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (DEETS), la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement des outre-mer (DEALM), la gendarmerie nationale, la sécurité civile, le rectorat, le service communication et État -major de la zone océan Indien.
Les grandes orientations et actions menées
Suivi des décisions de la CIC
Assurer l’accès à l’eau potable des populations par l’installation et la remise en service de rampes à eau :
– Réhabilitation de 119 rampes à eau 2 existantes ;
– Lancement de la construction de 80 nouvelles rampes. Installations des rampes sur les chemins de l’eau, qui sont toujours alimentés en eau potable ;
– Déploiement de conteneurs-citernes mobiles d’eau potable dans le cadre des plans de secours de la protection civile avec la réquisition à la Réunion de containers-citernes alimentaires de 20 m3 et de camions-avitailleurs afin d’assurer la distribution en eau potable en cas de rupture d’approvisionnement.
Garantir la disponibilité de l’eau en bouteille par des importations en provenance de l’île Maurice, de l’île de La Réunion et par des acheminements en provenance de la métropole. Distribution d’environ 1.5 litres d’eau potable par jour à l’ensemble de la population à partir de la mi-novembre.
CIC permanente anticipation relative à la crise de l’eau à Mayotte (source : tableau de bord interministériel de la CIC eau Mayotte)
Assurer la gestion des déchets
–Collecte des bouteilles vides par la mise en place du dispositif du « un pour un » : une bouteille d’eau attribuée pour une rendue ;
– Adaptation des outils de compactage pour la récupération des bouteilles vides et leur retour en métropole. Un nouvel outil de compactage pour la récupération des bouteilles vides et leur retour a été mis en place par l’entreprise CITEO en mars 2024.
La collecte des bouteilles vides a permis de récupérer plus de 7.547 m3 de plastique au cours de la campagne.
Organiser la livraison de produits sanitaires tels que les pastilles de potabilisation de l’eau, le gel hydroalcoolique.
Suivre la vidange des retenues par des expertises bactériologiques réalisées afin d’analyser la possibilité d’utiliser la hauteur d’eau restante. Des contrôles sanitaires de l’eau ont été réalisés régulièrement pour avis du Haut conseil de la santé publique. L’ensemble des contrôles sanitaires ont été maintenus jusqu’au retour à la normale.
Mettre en place d’un dispositif d’aide aux entreprises ainsi que des aides spécifiques adaptées au secteur agricole.
Préparation de la saison sèche 2024
En préparation de la saison sèche, il a été décidé d’améliorer les capacités de production locale par :
– Le renforcement de la capacité de détection et de réparation des fuites sur le réseau de distribution qui doit permettre de répondre aux dégradations induites par la multiplication des tours d’eau. Gain envisagé de 2.000 m3 supplémentaires ;
– L’amélioration des interconnexions nord/sud de Petite Terre à Grande Terre puis du nord vers le sud et amélioration de la connexion nord-sud SR2. L’objectif est de disposer d’une capacité de transfert de l’eau excédentaire du Nord vers le Sud (3.000 m3/jour). Ces travaux doivent permettre de renforcer l’équité territoriale, en améliorant la distribution de l’eau entre différents secteurs du département ;
– L’augmentation des ressources souterraines par l’identification de nouveaux forages afin d’augmenter les capacités de production et de distribution ;
– Le renforcement de l’usine de désalinisation de Petite-Terre par l’augmentation des capacités de l’usine de dessalement de 700 à 1.000 m3 / jour.
Une stabilisation des prix a été demandée par l’État avec un gel du prix de l’eau en bouteille à partir des prix pratiqués à compter 03/07/23 (décret du 18/07/23) jusqu’en avril 2024.
Des mesures d’accompagnement de la population ont permis de recruter 150 « ambassadeurs de l’eau » volontaires en service civique dont 50 provenant des communes, intercommunalités et associations agréées par village ou commune et 100 provenant de l’association Mlezi Maore avec un chef de service commun et un encadrant par intercommunalité. La mission des ambassadeurs était de relayer les messages de gestion de crise « sécheresse » auprès des habitants, avec l’installation de 60.000 kits économiseurs d’eau et des actions engagées auprès des rampes à eau.
Le préfet de Mayotte a mis en place une campagne de communication par plusieurs canaux :
– campagne de sensibilisation aux gestes d’économies lancée sur les sites institutionnels et les réseaux sociaux des acteurs de l’eau ;
– campagne de communication multilingue : spots TV et radio, ainsi que des supports visuels déployés sur des panneaux publicitaires ;
– communication politique et grand public spécifique à porter sur le sujet des rampes à eau ;
– tenue d’un comité de suivi de la ressource en eau élargi avec les élus ;
– rencontre et échange du préfet, chargé de mission « eau » auprès du préfet de Mayotte, avec l’ensemble des maires et des élus.
Enjeux de l'eau à Mayotte
Phénomène sécheresse, pluviométrie dans un contexte de changement climatique
Mayotte compte parmi les territoires les plus affectés par les aléas climatiques. L’insularité, l’éloignement géographique de l’Hexagone, la coïncidence d’autres risques déjà existants, la présence de fragilités spécifiques liées au développement et à l’histoire de ce territoire, sont autant de facteurs qui le placent parmi les départements les plus vulnérables.
Des fragilités existent déjà et risquent de s’amplifier dans le futur tant d’un point de vue capacitaire que structurel. Elles devront être prises en compte pour penser l’adaptation au changement climatique des missions de sécurité civile dans le domaine de la prévention, l’information, la sensibilisation des populations, mais aussi la coordination des moyens d’intervention. L’ensemble de ces démarches permettra d’améliorer la résilience au regard des risques auxquels l’île est soumise.
Selon les trois scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), les cumuls de précipitations annuels seront en baisse dans la zone allant de La Réunion au canal du Mozambique pourtant marquées par une augmentation des pluies extrêmes qui pourraient engendrer du ruissellement et des glissements de terrain. La baisse des précipitations (augmentation de la fréquence et de la sévérité des sécheresses, augmentation des contrastes saisonniers) couplée à la hausse des températures pourraient accentuer la pression sur la ressource en eau et favoriser le risque de départs de feux.
Pérenniser l'approvisionnement en eau de Mayotte
Afin de pérenniser les travaux engagés et de sécuriser l’approvisionnement en eau potable de l’île de manière autonome, une directrice de projet « eau Mayotte » a été désignée et placée auprès du directeur délégué de crise de la CIC eau Mayotte puis lui a succédé dans l’accompagnement du préfet de Mayotte sur cette problématique de la ressource et de la gestion de l’eau. Elle a piloté plusieurs missions d’expertise sur le territoire de Mayotte.
La réponse des autorités s’est déroulée en trois phases distinctes :
1. une phase d’urgence visant à sécuriser l’approvisionnement en eau de l’île ;
2. une phase de préparation à la saison sèche de 2024 par des campagnes d’exploration et de forage (toujours en cours) ;
3. une phase visant à assurer l’approvisionnement en eau de Mayotte à long terme. Notre travail contribuera à cette dernière étape, qui repose sur l’élaboration d’un «Plan Eau Mayotte 2024-2027», et qui vise à assurer une sortie de crise durable.
Fin de l'appui national
La fin de la phase de crise de la pénurie d’eau à Mayotte a été actée au 29 février 2024 lors de la CIC décision le 7 février 2024. La Cellule de coordination interministérielle logistique (CCIL) a dû poursuivre des manœuvres logistiques jusqu’à la levée complète du dispositif.
Cette mesure entraîne l’arrêt de la distribution des bouteilles d’eau à la population générale à compter du 29 février 2024 avec 22 millions de litres distribués depuis le 21/09/2023. Il a donc été demandé à la préfecture de Mayotte d’optimiser la distribution et de constituer un stock stratégique (État et collectivités locales) jusqu’à l’épuisement de tout le volume d’eau réceptionné pour la crise sur Mayotte.
Parmi les décisions prises, il ressort que le prix de l’eau en bouteille a été bloqué jusqu’au 15 avril 2024, le dispositif d’aide aux entreprises et les mesures adaptées au secteur agricole ont été prolongées jusqu’à fin février 2024, tout comme le dispositif de prise en charge des factures d’eau non payées.
Notes
(1) Les formations militaires de la sécurité civile (FORMISC), désormais appelées Brigade militaire de la sécurité civile (BMSC) depuis 2024.
(2) Dispositif mobile conçu pour distribuer de grandes quantités d'eau de manière rapide et efficace.
Derrière cet article

Marilie TISON-GROSRICHARD
