IHEMI

Fil d'Ariane

Relations police-population

Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.

Relations police-population
25jan.19
Interview de Jacques de Maillard, professeur de science politique à l'Université de Versailles Saint-Quentin et directeur-adjoint du CESDIP, sur les relations police-population. Contenu issu de la revue DéfiS n°9.

Interview de Jacques de Maillard

Cette interview est issue du n°9 de DéfiS, revue du département « Intelligence et sécurité économiques » de l'INHESJ, publié en décembre 2018. Retrouvez l'intégralité de ce numéro sur notre site.

Quel est l'impact des manifestations récentes sur la doctrine du maintien de l'ordre ?

Jacques de Maillard : Nous sommes dans une phase spécifique, tournée vers l'affrontement qui est liée à la difficulté d'adapter la doctrine du maintien de l'ordre pour répondre à des protestations collectives ne répondant pas aux codes habituels. Cet épisode de violence met à l'épreuve l'emploi des forces sur les questions de maintien de l'ordre traditionnel, sur l'évolution de la doctrine.

Les évènements récents, en lien avec le mouvement des gilets jaunes, ont montré que nous étions dans une forme exacerbée d'oppositions, samedi 1er décembre 2018, 10 000 manifestants dont un tiers étaient violents. Ces affrontements ont été dans l'histoire récente l'un des moment les plus intenses 125 blessés dont 25 des forces des forces de l'ordre, plus de 400 interpellations, plus de 1000 grenades de désencerclement, (soit plus que sur l'année 2017 dans son ensemble). De ce point de vue, la gestion des manifestations du samedi 8 décembre, avec un dispositif massif et plus proactif (avec notamment des interpellations et gardes à vue très en amont de la manifestation) semble avoir pu jouer un rôle de prévention à Paris, même si le niveau de dégradations matérielles reste très important, à Paris comme en province d'ailleurs.

Traditionnellement le maintien de l'ordre repose sur la maîtrise de l'encadrement des foules, sur le dialogue, la négociation, et sur l'utilisation de la force en dernier recours. Les gilets jaunes sont sortis de ce registre, ils se sont exprimés par la violence, rejoints par des groupes très politisés, dans des lieux sur lesquels on ne les attendait pas et sans porte-parole avec lesquels négocier. Cela pose la question des moyens utilisés par la police pour adapter ses dispositifs de maintien de l'ordre, des savoir-faire établis du maintien de l'ordre face à des situations inédites.

Qu'est-ce que cette situation inédite nous dit de la relation police-population ? Peut-on comparer la relation police-Nation à la relation armées-Nation ?

JdM : Les policiers doivent conserver des modes d'actions qui reposent sur des normes de déontologie dans un contexte de tension extrême. Ils doivent interpeller en respectant les règles de droit. Ils doivent protéger les bâtiments publics et privés, tout en faisant un usage retenu de la force. Tout ceci nous renvoie à toute la difficulté du travail policier, « mal nécessaire » des démocraties : usage de la force au service de la protection des individus et de l'ordre politique. Tout l'art de l'action policière repose sur cet équilibre : maintenir l'ordre et protéger les biens et les individus tout en faisant un usage proportionné et justifié de la contrainte physique.

C'est ici que l'on retrouve toute l'ambivalence de la relation police-population. Les moments de crise renforcent des visions manichéennes, soit d'oppositions radicales (du genre « all cops are bastards »), soit de fusion (« je suis policier »). Rappelons la période 2015-2016 : début 2015, après l'attentat de Charlie Hebdo on a pu observer des manifestations de soutien à l'égard de la police, quelques mois après les manifestations autour de la loi travail ont inversé les rapports. On a eu l'impression qu'une haine anti-flic ressurgissait. En fait, aucune des deux visions n'est juste et l'actualité nous conduit trop souvent à balancer de l'un à l'autre. Quand on regarde les différentes études d'opinion, il apparaît que le niveau de soutien (confiance, légitimité ou opinions positives) dans la police est relativement élevé : entre 70 et 80 %. En revanche, il existe une part de la population manifestant des opinions hostiles, et l'un des enjeux est que c'est justement avec ces individus que les policiers sont souvent en relation. C'est là sans doute une différence majeure avec les militaires, malgré l'opération sentinelle : ces derniers n'entretiennent au quotidien que peu de contacts avec les citoyens, avec le lot de situations conflictuelles que cela peut impliquer.

Quel est alors plus généralement l'état des relations police-population ?

JdM : Rappelons donc que le taux de satisfaction vis-à-vis de la police est relativement élevé par rapport à celui relatif à la justice ou aux acteurs politiques. Dans l'ensemble, les français ont une bonne image de la police. Pour autant, on sait que d'un côté les policiers ressentent difficilement le fait d'être mal-aimés par le public. On sait aussi que les modes d'intervention policiers dans certains quartiers posent question, avec une police à la fois trop absente au quotidien et intervenant de façon trop ponctuelle, massive, voire violente. Il existe d'ailleurs chez les habitants des quartiers dits « difficiles » des personnes qui, malgré de nombreuses victimations, ont cessé de porter plainte, non pas seulement par craintes des représailles, mais aussi parce qu'elles ne croient plus dans la capacité des institutions à régler leurs problèmes. Il y a un vrai enjeu d'ajustement de la réponse policière. Rappelons aussi que les chiffres comparés ne sont pas très favorables aux polices françaises. L'enquête sociale européenne (European social survey) conduite en 2010-2011 dans vingt-huit pays comporte une série de questions autour de la confiance dans les institutions pénales : la France se classe 13ème sur 20 pour les opinions positives suite à un contact à l'initiative de la police ; 14ème sur 20 pour l'appréciation du caractère impartial des décisions des policiers ; 19ème sur 26 pour le traitement respectueux des personnes.

Il y a donc un enjeu central de la qualité du travail policier. La question des contrôles d'identité est emblématique de ces enjeux : leur nombre, trop important et trop ciblé sur certaines populations, pose question. La réforme annoncée de la police de sécurité du quotidien semble annoncer des pistes intéressantes de ce point de vue (en insistant sur les partenariats locaux et la décentralisation interne des responsabilités), mais il est encore beaucoup trop tôt pour en juger, et je n'ai pas encore vu d'évaluations réelles se mettre en place.

Pensez-vous qu'il faudrait réformer le système policier français, en augmentant les effectifs des polices municipales ?

JdM : La France se distingue des autres pays européens équivalents par une forte centralisation. Même les autres pays de tradition napoléonienne, comme l'Espagne ou l'Italie, donnent plus de place aux polices locales, voire régionales comme en Espagne. Pour donner un ordre d'idée, les effectifs cumulés police et gendarmerie correspondent à plus de 90 % des effectifs policiers (245 000 effectifs approximativement contre environ 20 000 policiers municipaux). L'une des questions récurrente est de savoir s'il faut décentraliser le système, en donnant plus de poids aux acteurs politiques locaux, notamment sur les questions de sécurité publique, c'est-à-dire de sécurité du quotidien.

Il reste cependant difficile de réformer radicalement les statuts et les cultures professionnelles. Plutôt que de parler de grande réorganisation massive, l'enjeu serait plutôt d'arriver à mieux coordonner les différentes polices et de faire en sorte que les professionnels de la sécurité travaillent avec d'autres. Que les policiers nationaux, et pas seulement les chefs de service, soient capables d'interagir plus globalement. La question est dans sans doute moins celle d'une réorganisation d'ensemble, toujours complexe à porter politiquement et institutionnellement que celle d'une modification des modes d'action.

Dans certains territoires, l'emploi de services de sécurité privée est-il envisageable ?

JdM : Le recours à des agents privés dans certains quartiers, des entreprises vient d'une dynamique structurelle. Elle est liée au sentiment d'insécurité, tient à l'apparition des grands espaces commerciaux privés mais massivement occupés par le public (comme les centres commerciaux), au fait que les polices publiques peinent à répondre aux besoins de sécurité ordinaires. Ce développement s'observe internationalement, et pose des questions cruciales relatives à la façon dont l'État régule ce développement : pour assurer des formes d'équité (comment les citoyens bénéficient de prestations de sécurité équitables sur le territoire), de qualité (comment s'assurer de la qualité des prestations fournies par cette prolifération de services), d'efficacité (comment s'assurer d'une action coordonnée de ces différents acteurs) et de contrôle (comment s'assurer que tous ces agents aient des comportements respectueux des règles légales et déontologiques). C'est tout l'enjeu du continuum de sécurité.

Comment restaurer la confiance ?

JdM : La confiance que le public accorde aux forces de police est en effet une condition de leur action. Une police en laquelle on a confiance, c'est une police qui se fait plus facilement obéir par le public. Le seul recours à la force ne suffit pas, ou alors il risque de s'épuiser de lui-même. Une police légitime, c'est une police avec laquelle les citoyens sont plus enclins à coopérer, à laquelle ils sont susceptibles de donner des informations, parce qu'ils ont confiance dans la façon dont elle va les utiliser. La police, service public véritablement continu et généraliste, contribue par son action à définir les sentiments d'appartenance à la communauté nationale notamment. J'avais, avec d'autres, proposé quelques pistes qui pourraient être poursuivies1 .

Premièrement, la confiance peut être restaurée en valorisant le travail de police généraliste, indissolublement répressif, préventif et dissuasif. Rappelons-le : le policier est, au sens littéral, un gardien de la paix. Deuxièmement, la qualité du contact est une dimension primordiale. Les « bons » comportements policiers, le traitement respectueux et équitable de la population viennent fonder la confiance. À l'inverse, les comportements inéquitables et violents minent durablement la légitimité policière. Enfin, le travail policier de tranquillité publique doit s'inscrire dans le territoire. Il repose sur la connaissance de la ville, du quartier, voire de l'îlot d'habitation. Sentir la température dans un quartier avant une intervention difficile, accumuler de l'information sur les réseaux criminels, éviter les pièges dans certains territoires, pouvoir rendre des comptes aux habitants sur l'action policière, capter les demandes dont font part les différents segments de la population, ajuster la réponse policière aux problèmes locaux. Ce sont bien sûr des orientations de moyen terme, mais qui justement demandent de fixer un cap, là où les questions policières sont trop fréquemment absorbées par la seule réponse à l'événement.

Du même auteur

Notes