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L'influence familiale dans les processus de radicalisation et de sortie de la violence

L'influence familiale dans les processus de radicalisation et de sortie de la violence
27juin.25

Cet article a été écrit par Rachel Sarg, maître de conférences en sciences sociales. Il est issu du n°58 des Cahiers de la sécurité et de la justice.

Le rôle de la famille est un facteur régulièrement évoqué dans les analyses des phénomènes de radicalisation et de déradicalisation sans que sa présence soit précisée. À partir des résultats des principaux travaux internationaux ayant trait à la compréhension des facteurs dans les processus dentrée et de sortie de la violence, cet article examine la pertinence de considérer la famille comme un élément décisif dans la réintégration des personnes condamnées à des infractions terroristes ou suspectées de « radicalisation ». Si les recherches internationales attestent d’un lien entre la famille et les processus de radicalisation et de sortie de la violence dans ses multiples composantes (actes-comportements/croyances-attitudes), on notera l’absence de réponses univoques au sujet du rôle effectif et des effets de l’influence de ses membres sur le départ d’une organisation ou la désadhésion à une idéologie violente.

Mots-clés : radicalisation, déradicalisation, famille, réintégration sociale.

The role of the family is a factor that is regularly mentioned in analyses of radicalization and deradicalization phenomena without its presence being specified. Based on the results of the main international studies on the understanding of factors in the processes of entry and exit from violence, this article questions the relevance of considering thefamily as a decisive element in the reintegration of persons convicted of terrorist offences or suspected of “radicalization”. While international research attests to a link between the family and the processes of radicalization and exit from violence in its multiple components (acts-behaviors/beliefs-attitudes), we note the absence of unambiguous answers concerning the actual role and effects of the influence of its members on departures from an organization or disadherence to a violent ideology.

Keywords : radicalization, deradicalization, family, social reintegra

Poser la question des facteurs de radicalisation ou de déradicalisation consiste en partie à identifier les variables externes et internes déterminantes dans les processus d’entrée dans un groupe affilié à une idéologie violente et de sortie d’un tel groupe. Les influences sociales telles que le groupe de pairs, les réseaux sociaux, de même que les membres de la famille, sont régulièrement intégrées aux analyses explicatives et certaines approches voient la famille comme un important facteur prédictif de différents comportements antisociaux, dont la délinquance (Zych et al., 2021).

Un postulat désormais largement partagé dans le domaine d’étude des phénomènes de radicalisation concerne la variabilité des parcours expliquant les raisons de l’engagement : les personnes radicalisées ne sont pas conformes à un profil type. Les recherches les plus récentes qui ont tenté d’élaborer des modèles explicatifs de la radicalisation aboutissent au même constat de l’absence de caractéristiques similaires généralisables (Gill et al.2014 ; Hecker, 2018 ; Hwang et Schulze, 2018, Wolfowicz et al. 2020). Ils mettent ainsi en lumière la multiplicité des facteurs et des profils en présence. Cependant, ces résultats ne signifient pas qu’il n’existe aucune possibilité d’identifier des spécificités jouant un rôle dans le processus d’engagement vers une idéologie radicale et violente. En effet, la transmission intergénérationnelle des comportements antisociaux a été confirmée par plusieurs études (Farrington et al., 2009), et le faible soutien ou l’incohérence parentale ont tendance à renforcer la vulnérabilité des jeunes à la radicalisation (Sikkens et al., 2017 ; Sieckelinck et al., 2015 ; Van Bergen et al., 2016).

Cet article propose de s’interroger sur le rôle de l’influence familiale dans les processus que l’on nomme « radicalisation » et « déradicalisation » 1. En nous appuyant sur les résultats des principaux travaux internationaux ayant trait à la compréhension des facteurs dans les processus d’entrée et de sortie de la violence, nous nous interrogerons sur la pertinence de considérer la famille comme un élément décisif dans la réintégration des personnes condamnées à des infractions terroristes ou suspectées de « radicalisation ». Nous poserons ainsi, dans un premier temps, la question de la pertinence de la variable familiale comme facteur influant dans les processus de délinquance et de radicalisation. La seconde partie sera consacrée à déterminer la place de cette même variable dans les processus de déradicalisation et de sortie de la violence.

Délinquance et déstructuration familiale

Malgré l’hétérogénéité des parcours de radicalisation, un certain nombre d’analyses ont identifié des éléments communs en matière d’antécédents familiaux (Rolling J., Corduan G., 2018 ; Bazex H., Bénézech M., Mensat J.-Y., 2017). En effet, les divers parcours des individus qui sont entrés dans un processus de radicalisation font parfois apparaître un milieu familial insécurisant, déstructuré, traversé par des conflictualités et de la violence. Il est régulièrement fait allusion à l’« absence des pères », au « milieu familial chaotique », aux « familles éclatées » et « défaillantes » comme caractéristique de leur environnement familial. Notre participation au dispositif bas-rhinois de cellules départementales de suivi pour la prévention de la radicalisation et l’accompagnement des familles2 permet de confirmer les diagnostics de carence éducative et affective posés dans la majorité des dossiers de mineurs suivis après un signalement. Ces éléments constituent souvent l’un des rares points communs relevés par les différents professionnels amenés à prendre en charge et à suivre ces jeunes, professionnels notant « une récurrence extrêmement forte des difficultés familiales et parentales3 ».

Toutefois, de même que la tentative de compréhension de l’engagement violent au moyen de variables et de causes objectives, comme le niveau d’instruction qui s’est avéré ne pas pouvoir à lui seul expliquer la radicalisation, le facteur familial n’est pas déterminant. De nombreux exemples, parfois médiatisés, ont d’ailleurs pu illustrer des dynamiques de radicalisation à contre-courant de l’image type de l’individu issu d’une famille pauvre, déstructurée ou violente. On obtient parfois même des résultats contre-intuitifs, comme le fait que les actes les plus dangereux, dont les départs vers les zones de guerre ou les attentats, sont perpétrés « par ceux qu’on attendait le moins (des jeunes issus de familles stables et bons élèves) et non par les fractions les plus précarisées des jeunesses populaires, pourtant accoutumées à des univers de violence physique et symbolique » (Bonelli et Carrié, 2018, p. 201).

Dans cette perspective, le champ que constituent les études de la délinquance est instructif. Depuis de nombreuses décennies, les chercheurs ont tenté d’identifier les facteurs de la délinquance, en particulier le rôle éventuel de la famille. Ces études, par exemple, les travaux sur les difficultés d’ordre socio-économique et culturel (LeBlanc, McDuff et Kaspy, 1998), sur la structure familiale (Wells et Rankin, 1985 ; Von Voorhis et al. 1988) ou encore l’activité professionnelle des parents (Roché, 2000), font toutes  le constat que les variables « objectives » ont peu de poids significatif et ne constituent pas des facteurs prépondérants dans les mécanismes de délinquance juvénile. Finalement, peu importe que les parents soient mariés ou divorcés, qu’ils partagent l’autorité parentale ou non, que l’on soit en face d’une forme de dissociation familiale marquée par l’absence de l’un des parents : « cest en termes de dynamiques relationnelles que doit être analysée la part que la famille prend éventuellement dans la fabrique de la délinquance » (Muchielli, 2001, p. 224). Cette conclusion semble également valable pour « la fabrique de la radicalisation ». Les réponses seraient à chercher davantage dans la dynamique des rapports et leur dimension subjective, la famille étant avant tout un système relationnel, donc un système d’échanges et d’interactions. Ainsi, des études ont identifié les liens entre la qualité des relations parents-enfants et l’émergence de conduites délictueuses, notamment le manque d’attachement aux parents, marqué par le sentiment d’indifférence ou le rejet de l’un ou l’autre parent (Glueck, 1950 ; LeBlanc et Ouimet, 1988). Ces éléments semblent corroborer les études les plus récentes sur le parcours de jeunes jihadistes, dont beaucoup montrent une identité en rupture avec leur famille et ses valeurs. En effet, les auteurs du rapport sur les mécanismes de la radicalisation violente concluent, au terme de l’analyse des trajectoires biographiques de vingt jihadistes, par la non-pertinence de la structure familiale dans les facteurs de la radicalisation violente : « il sagit dabord de la déstructuration enfantine, c’est-à-dire le fait d’avoir subi de mauvais traitements enfant, une précarité excessive ou un sentiment de désamour particulièrement fort. Ce cas se retrouve uniquement chez quatre acteurs jihadistes alors que les neuf autres affirment pour la plupart avoir eu une enfance sans souci et parfois même très heureuse. Les jihadistes ne sont pas de grands traumatisés dont l’engagement relèverait davantage de la psychiatrie ou de la pathologie » (Crettiez et Sèze, 2017, p.  89). Notre recherche sur ladhésion religieuse en prison (Sarg, 2014) aboutissait au même type de conclusion après l’étude du parcours familial des individus engagés dans un processus de radicalisation : tous n’ont pas fait l’expérience d’un environnement familial déstructuré. Cependant, ces études s’exposent au biais de sélection et ne peuvent que constater l’absence ou la présence de facteurs sans pouvoir en démontrer les effets et les causes sur le phénomène étudié. Si les résultats empiriques ne sont pas concluants, les recherches futures4 portant sur les facteurs de risque et de protection liés à la famille apporteront sans aucun doute des éléments de réponse plus précis sur les phénomènes de radicalisation.

Enfin, si la famille détient un quelconque rôle dans les processus de radicalisation violente, il est nécessaire de distinguer l’influence directe et l’influence indirecte des proches. La première peut se traduire par la transmission de certaines valeurs et croyances ou par des comportements antisociaux. L’influence indirecte, quant à elle, intervient lorsque le milieu familial est marqué par l’instabilité, les conflits, la violence ou par la perte physique, sociale ou symbolique de l’un de ses membres. Il s’agit principalement de climats familiaux que l’on peut qualifier de « fertiles » à une potentielle radicalisation. Les travaux de Maleckova (2005) et Silke (2008) n’ont par exemple pas mis en évidence de lien entre le milieu familial marqué par la pauvreté ou la privation et l’appartenance à des organisations extrémistes. La plupart des recherches montrent que globalement les parents ne servent pas d’exemple à leurs enfants (mais plutôt de contre-modèle), qu’ils sont peu au courant de la radicalisation de leurs enfants et que la plupart ne les soutiennent pas dans leur parcours de radicalisation (Sieckelinck et al., 2015).

Il convient donc de ne pas généraliser ces facteurs, notamment en l’absence d’études statistiques fiables menées à grande échelle et dans différents contextes. La radicalisation relève de mécanismes complexes qui ne se laissent pas saisir par des explications monocausales et déterministes, et ce, d’autant que de nombreux individus dont la vie est émaillée de difficultés familiales et de manques matériels et sociaux n’entrent pas dans un processus de radicalisation. Il reste qu’une certaine disponibilité biographique peut faire écho à ce type d’engagement et le favoriser, sans que pour autant cela permette d’établir un lien mécanique entre difficulté familiale et radicalisation.

Famille et déradicalisation

La question de la réintégration des personnes condamnées pour des infractions terroristes ou de droit commun suspectées de radicalisation commence seulement à se poser en France alors que l’Europe et d’autres pays sont confrontés aux difficultés de la sortie des personnes du milieu carcéral (TIS/DCSR). Dans ces conditions, il est essentiel d’identifier les facteurs de réintégration de ces individus. Quelles sont les ressources biographiques, non seulement les leviers mais aussi les freins, qui marquent les étapes de leurs parcours de réintégration ? Dans une perspective processuelle et situationnelle : que nous apprennent les travaux qui tentent d’analyser la trajectoire de désengagement et de réintégration des individus engagés dans un processus de radicalisation violente ?

Rappelons la distinction qui s’opère entre les trois notions relatives au renoncement à la violence –désengagement, déradicalisation et désistance –, souvent mobilisées sans définitions préalables et sans appuis théoriques. Le désengagement renvoie aux comportements individuels et peut se définir comme « le processus par lequel un individu n’accepte plus comme appropriés les droits et obligations socialement définis qui accompagnent un rôle donné dans la société » (Ebaugh, 1988, p. 3). Il ne signifie pas que les individus renoncent au système de croyances, mais plutôt qu’ils ne sont plus motivés pour participer à des activités du groupe en question. La déradicalisation désigne généralement « le processus de changement du système de croyances d’un individu, de rejet de l’idéologie extrémiste et d’adoption des valeurs dominantes » (Rabasa et al., 2010, p. 13). Elle implique le rejet du système de croyances et, donc, suppose que les individus n’adhèrent plus aux idéologies du groupe. Comme le soulignent les chercheurs, tous ceux qui rejoignent un groupe terroriste ne sont pas radicalisés : « it’s possible to join solely for financial reasons, for example. Likewise, not everyone who is radicalized joins a terrorist group. Similarly, someone may deradicalize without leaving a violent extremist organization or also disengage without deradicalizing. Disengagement without deradicalization may be the minimum goal of counterterrorism – stopping the physical strife5 » (La Palm, 2017, p. 86-87).

Un troisième concept est parfois mobilisé pour désigner le phénomène d’abandon de la radicalisation violente : la désistance. Issue du domaine de la criminologie, elle est entendue comme le processus de sortie de la délinquance, processus au terme duquel une personne cesse de commettre des infractions (Mc Neill, 2006). L’utilisation de la notion de désistance, appliquée aux phénomènes de radicalisation permet notamment de favoriser une appréciation multidimensionnelle, globale et processuelle en mettant en lien à la fois les facteurs individuels (de risque ou de protection), le processus cognitif et l’influence sociale (Laub, Sampson, 2001). Ces travaux, fondés sur des études longitudinales, permettent par exemple de dégager des facteurs décisifs dans l’abandon de la délinquance. L’âge est l’un des  plus significatifs dans la mesure où l’on constate un épuisement pour différentes raisons : la capacité accrue à prendre des décisions calculées, des liens sociaux conventionnels, un sentiment croissant d’épuisement, l’évolution de la situation professionnelle – avoir un emploi stable – ou matrimoniale – vivre en couple, avoir des enfants –. La question reste de savoir s’il est possible de rapporter les résultats de la criminalité classique aux profils des individus engagés dans le terrorisme et la radicalisation. Si les avis et les analyses divergent, on peut néanmoins relever des similitudes importantes : avoir des réalisations sociales qui se traduisent par l’établissement de liens prosociaux (emploi, éducation, réussite, liens positifs avec des institutions) est un facteur important de désistance dans les différents profils délinquants. Néanmoins, il semble exister des différences et certains travaux admettent que l’idéologie est un facteur qui aurait tendance à atténuer certains facteurs de désistance : par exemple, la relation entre lâge et le réengagement (y compris la récidive) est plus faible chez les terroristes les plus engagés idéologiquement (Altier et al., 2021). Les anciens terroristes, qui sont profondément engagés dans une idéologie, peuvent être plus susceptibles de se réengager, malgré le vieillissement et la maturité. Par ailleurs, la relation entre la situation matrimoniale, parentale ou professionnelle et le risque de réengagement n’est pas statistiquement significative et les formes de réalisations sociales ne semblent pas ou peu compter pour ceux dont l’implication dans le terrorisme est motivée par un engagement profond pour la cause.

Mais qu’en est-il de l’influence de la famille dans les processus de sortie de la violence ? Quelle est l’importance de l’implication des membres de la famille et de l’entourage dans la réintégration ? Là encore, si les preuves empiriques demandent à être stabilisées et généralisées, les premiers résultats portant sur la réintégration des terroristes ont permis de mettre en lumière le rôle des liens positifs avec des membres de la famille non radicalisée (Altier et al., 2014), qui offrent aux personnes la possibilité de réviser leurs croyances et de les mettre à distance. Cependant, cette influence interviendrait dans un second temps et ce qui semble primordial est l’arrêt volontaire ou involontaire (arrestation, incarcération) du soutien à un groupe et à une idéologie radicale. La recherche de Sikkens et al. (2017) permet de préciser les liens qui existent entre ces protagonistes : les parents auraient eu peu d’influence directe sur le processus de déradicalisation ou de désengagement, mais une influence plus latente. Les auteurs ont mentionné que les contre-arguments donnés par leurs parents ont été mémorisés et utilisés une fois qu’ils ont commencé leur processus de déradicalisation. De plus, les membres de la famille étaient disponibles pour soutenir le changement qui est venu des individus eux-mêmes. Enfin, d’anciens radicaux ont déclaré que le soutien apporté par leurs parents pendant leur processus de déradicalisation leur a été utile.

Les recherches sur la désistance et la criminalité montrent que des liens familiaux forts et la désistance sont corrélés (Laub et Sampson, 1993). Mais certaines études plus récentes tempèrent la significativité de ce lien dans les phénomènes de désadhésion d’individus liés à un groupe terroriste. La recherche sur les raisons des départs (« Why they leave », 2017), menée par M. B. Altier, E. L. Boyle, N. D. Shortland et J. G. Horgan et portant sur des données recueillies à partir de 87 récits autobiographies suggère, avec toutes les précautions liées au type de données empiriques et à l’absence de groupe de contrôle possédant des caractéristiques similaires, que seul un petit nombre de décisions de désengagement sont influencées par les exigences de la vie de famille. Ainsi, le désir de consacrer plus de temps à sa famille ou le sentiment qu’il est trop difficile de concilier la vie familiale et la participation à des activités terroristes seraient ressentis dans respectivement 26,5 % (« desire to seek ») et 20,4 % (« too hard to balance with family life ») des cas de désengagement individuels et volontaires. Cependant, si on analyse le rapport entre ces deux critères pour l’ensemble des situations de désengagement (volontaires ou involontaires), ils n’expliqueraient que, respectivement, 6,1 % et 4,1 % des décisions de sortie. Le désir de se marier a été ressenti beaucoup moins fréquemment (8 % de tous les cas), et il aurait joué un rôle dans la décision de désengagement dans seulement 4 % des cas. Pour les chercheurs, le facteur principal dans la décision de désengagement demeure la désillusion par rapport aux actions et stratégies du groupe et de ses membres. Ces résultats rejoignent les conclusions des travaux de J.C. Hwang sur le jihadisme indonésien (2017), de ceux sur l’État islamique de K. Barelle (2015) et de Van der Heide et Huurman (2016).

Conclusion

Cet article a cherché à explorer les liens entre la famille et les processus de radicalisation ou de sortie de la violence. Les travaux portant sur les facteurs de délinquance démontrent que la tentative de déterminer des variables objectives aux phénomènes de criminalité n’est pas nouvelle et que ces phénomènes ne se laissent pas enfermer dans des explications monocausales et déterministes. Finalement, si les recherches internationales attestent d’un lien entre la famille et la sortie de la violence dans ses multiples composantes (actes-comportements/croyances-attitudes), on notera l’absence de réponses univoques au sujet du rôle effectif et des effets de l’influence de ses membres sur les départs d’une organisation ou la désadhésion à une idéologie violente.

La plupart des évaluations et les analyses des programmes de déradicalisation ou de désengagement les plus approfondies, ont montré que ce qui semble primordial est ce qui se passe une fois la personne sortie de prison et non pas, ou peu, ce qui se passe avant (Altier et al. 2014 ; Hwang et Schulze, 2017 ; Van der Heide et Huurman 2016 ; Speckhard et al. 2018. ; Windish et al. 2016). Ainsi, les valeurs et les liens acquis en prison semblent, par exemple, moins déterminants que le renforcement des liens sociaux, lesquels permettront à quelquun de rester dans sa communauté et son environnement – pour peu qu’ils ne soient pas eux-mêmes » radicalisés «. En effet, outre les motivations de l’individu, il est nécessaire de considérer les conditions du retour dans la société, car si les facteurs qui ont favorisé l’adhésion et le ralliement à une idéologie extrémiste (chômage, sentiment de discrimination, relégation, etc.) persistent, la réintégration et le désengagement seront d’autant plus difficiles à mettre en œuvre (Speckhard et al. 2018). Enfin, il est important de considérer, au-delà des similitudes entre les organisations et les contextes, des différences qui ont parfois des conséquences importantes, par exemple, le rôle des contextes géopolitiques dans la sortie de la violence. Le processus de paix en Irlande du Nord ou la chute de l’URSS et de l’idéologie communiste ont grandement participé à réduire ces formes dactivisme violent. Qu’en est-il des idéologies inspirées d’une lecture violente et univoque du » jihadisme «  ? Si on observe des revers territoriaux et le repli de certaines organisations, la vision du monde véhiculée par ces regroupements continue de rencontrer un certain succès sur le marché des idées.

Et à l’intérieur même d’une organisation terroriste, on constate les difficultés d’homogénéiser ces profils en fonction des éléments suivants: le rapport à lidéologie, les raisons et les motivations de l’engagement dans l’activisme, le passage par les zones de guerre, le type des infractions (droit commun, apologie, préparation d’un attentat, etc.), les conditions matérielles et sociales de la réintégration. Tous ces éléments doivent être pris en compte dans la prise en charge et la réintégration des individus et analysés dans les futures recherches universitaires.

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Notes

(1)  Dans cet article, nous ne chercherons pas à saisir la pertinence de l’emploi de ces notions dans les travaux de recherche. Bien que contestée pour, entre autres, sa confusion lexicale et sa position de concept « fourre-tout », la notion de radicalisation possède un intérêt descriptif qui rassemble une grande partie de la recherche internationale. Nous préciserons dans la seconde partie les concepts de déradicalisation et de désengagement.

(2)  Circulaire du ministre de l’Intérieur du 29 avril 2014 Prévention de la radicalisation et accompagnement des familles encadrent et précisent les modalités d’accompagnement des familles et le rôle majeur des préfets dans le dispositif de prévention.

(3)  Présentation du dispositif « Prévention de la radicalisation violente », Plan d’action Strasbourg Eurométropole, 2017.

(4)  Signalons la revue systématique en cours des chercheurs Zych et Nasaescu (2021), dont l’objectif est de fournir une synthèse de recherche complète des études empiriques existantes sur les facteurs de risque et de protection liés à la famille et la radicalisation.

(5)  « Il est possible de rejoindre un groupe uniquement pour des raisons financières, par exemple. De la même façon, toutes les personnes radicalisées ne rejoignent pas un groupe terroriste. Ainsi, une personne peut se déradicaliser sans quitter une organisation extrémiste violente ou se désengager sans se déradicaliser. Le désengagement sans déradicalisation peut être l’objectif minimal de la lutte contre le terrorisme – mettre un terme aux conflits physiques » (ma traduction).

Derrière cet article

Rachel Sarg En savoir plus

Rachel Sarg

Fonction Maître de conférences en sciences sociales