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Le trafic des déchets toxiques : quelle implication de la Camorra ?

Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.

Le trafic des déchets toxiques : quelle implication de la Camorra
06nov.20

Le dernier numéro des Cahiers de la Sécurité et de la Justice donne la parole à plusieurs jeunes chercheurs, l'article de Lorena Massa sur le trafic des déchets toxiques est exceptionnellement disponible dans son intégralité.

Dès les années 1980, et encore aujourd’hui, l’enfouissement illégal de déchets toxiques industriels, provenant d’entreprises du nord de l’Europe et d’Italie, a provoqué des atteintes sanitaires et environnementales sans précédent en Campanie (Italie). Le coût social s’est traduit par une hausse avérée de certains cancers, des malformations, de la mortalité infantile et de la contamination des nappes phréatiques de la région. Autant d’externalités négatives qui résultent de plus de 35 ans d’une gestion défaillante des déchets.

Dans cet article, notre propos vise à mettre en exergue, d’une part, la phénoménologie de ce type de trafic en insistant sur les acteurs et le système et, d’autre part, à rendre compte de la réponse des pouvoirs publics à l’échelle de l’Italie et de l’Europe. En cette matière, on postule que l’État demeure en retrait, c’est ainsi que prospéreraient certaines organisations criminelles dont la Camorra, originaire de la Campanie.

Cette région du sud de l’Italie que les anciens romains appelaient « Campania Felix » est une allusion à l’exceptionnelle fertilité du sol liée au climat et à la présence du Vésuve, territoire volcanique extrêmement riche en biodiversité. Cette partie de l’Italie est aujourd’hui surnommée « Terre des feux 1 » à cause de ce que l’écrivain Roberto Saviano, a défini comme le « plus grand empoisonnement de masse dans un pays occidental 2 ».

C’est la Camorra, organisation criminelle napolitaine, qui joue un rôle de premier plan d’une telle atteinte à l’environnement et à la santé. Il y a plus de trois décennies que cette organisation a mis en place une véritable filière illégale autour des déchets toxiques.

Une activité bien structurée, (dotée de collaborateurs, administrateurs, intermédiaires, prête-noms, managers d’entreprises, techniciens, comptables et chefs de zone), avec une division du travail très bien définie. Une organisation qui sait assurer l’achèvement de chaque opération, à partir de la collecte, jusqu’au transport et l’enfouissement, y compris l’exportation illégale d’une partie des déchets.

La Camorra avait compris la valeur économique des déchets il y a longtemps, bien avant la régulation mise en place par l’Union européenne. Elle a réussi à s’insérer dans la gestion des déchets en Italie et a réalisé des profits d’ampleur, en agissant comme un acteur économique légitime. À travers ses opérateurs et ses outils, elle a su créer une offre et ce faisant elle est parvenue à comprendre et répondre à la demande des entrepreneurs du nord de l’Italie et de l’Europe.

Une demande très importante, fortement motivée par la nécessité de minimiser les coûts de gestion des déchets et qui a trouvé, et trouve encore aujourd’hui, une réponse efficace dans l’offre illégale de l’Ecomafia 3, une offre claire, facile et avantageuse. Selon le rapport de la direction nationale Antimafia, dans les années 1980 et 1990, certains responsables économico-financiers ont utilisé la collaboration de la Camorra pour éliminer illégalement des déchets toxiques qui ont défiguré une partie non négligeable de la Campanie. Tout cela a été facilité par les relations de corruption impliquant des autorités publiques (et politiques) jouant un rôle dans le cycle des déchets 4.

L’une des raisons du succès du trafic illégal est que le secteur des déchets est un terrain extrêmement fertile pour l’infiltration criminelle. Son attractivité est étroitement liée à ce qu’Europol définit comme un domaine « high profit - low risk 5 », en d’autres termes des poursuites et des peines peu appliquées.

Europol, en se référant aux crimes contre l’environnement, dans un rapport de 2015, affirme : « Un des plus grands secteurs d’activité européens est celui des déchets, dans lequel il est particulièrement facile pour les criminels de nuire aux concurrents honnêtes. Le bénéfice du crime peut être aussi élevé que dans le trafic illégal de drogues, mais avec des sanctions beaucoup moins sévères (si elles sont appliquées) et un faible taux de détection. Cela permet aux groupes du crime organisé de s’infiltrer davantage dans l’économie légale. Les crimes environnementaux portent atteinte à l’État de droit et à la réputation de l’Union européenne et de ses États membres6 ».

Les « risques faibles » peuvent être attribués aux lacunes des différents systèmes législatifs de lutte contre les trafics illégaux de produits légaux, en l’occurrence ici les déchets. Les « profits élevés », sont liés à la présence d’un marché noir rentable, avec très peu de concurrents et une demande élevée. Les déchets pour l’Ecomafia sont depuis longtemps un bien à commercialiser, une véritable ressource qui échappe facilement aux filières officielles (étant donné le manque de contrôle et de traçabilité) et qui alimente indubitablement la richesse criminelle. D’après Legambiente, l’ONG italienne spécialisée dans les questions environnementales, en 2017, « le chiffre d’affaires de l’Ecomafia a augmenté de 9,4 % en l’espace d’une année pour atteindre 14,1 milliards d’euros 7 ». La rentabilité du trafic illégal des déchets est telle qu’elle participe à la pérennité de ces organisations. Toujours, d’après le rapport 2018 de Legambiente, « Il y a eu 538 ordonnances de détention provisoire pour crime contre l’environnement en 2017 (une hausse de 139,5 % par rapport à 2016). Toujours la même année, 76 enquêtes ont été conduites sur le trafic illégal de déchets relevant du crime organisé (32 en 2016), 177 arrestations ont été réalisées, 992 trafiquants signalés et 4,4 millions de tonnes de déchets saisies (556 000 tonnes en 2016). Le secteur des déchets est celui où est concentré le pourcentage le plus élevé d’infractions. La quantité de déchets saisis par les forces de l’ordre a également augmenté entre le 1er janvier 2017 et le 31 mai 2018, avec 4,5 millions de tonnes, ce qui équivaut à une ligne ininterrompue de 181 287 camions sur 2 500 kilomètres 8 ».

Dans le cadre de cette analyse, il convient de rappeler que les données officielles disponibles concernant le trafic illégal des déchets sont celles révélées par les autorités et ne couvrent, par conséquent, qu’une partie de la réalité. L’ampleur réelle du phénomène suggère de prendre le problème dans toute son acuité et donc de mettre en place des solutions efficaces afin de limiter sa diffusion.

En focalisant sur le type de déchets, on peut apprécier la véritable dangerosité du trafic : « parmi les types de déchets prisés par les trafiquants figurent les boues industrielles, les poussières de fumées, les DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques), les plastiques, les déchets métalliques (ferreux et non ferreux), les papiers et cartons9 ». Malheureusement la liste ne s’arrête pas là et parmi les plus dangereux, il faut mentionner l’amiante, dont les conséquences sanitaires et environnementales peuvent être délétères pour l’homme et son habitat. D’après le Rapport de 2016 sur le crime environnemental « l’élimination de l’amiante est dangereuse et compliquée et donc coûteuse, ce qui permet grâce à l’élimination illégale d’engranger des profits élevés10 ».

Le trafic illégal des déchets est une activité qui a contribué et qui contribue encore aujourd’hui de manière significative à l’économie criminelle, à travers les profits d’ampleur générés et le coût majeur subi par la société. Si l’on considère que le trafic illégal des déchets industriels de la Camorra remonte aux années 1980, on peut facilement imaginer l’ampleur des dommages causés à l’environnement et la santé humaine compte tenu de son installation dans le paysage italien. En témoigne, aujourd’hui, le taux de mortalité pour cancers en Campanie, lequel y est bien plus élevé que le reste du territoire italien 11.

Les premières victimes sont les enfants. Selon le rapport de l’Institut supérieur de santé italienne relatif à l’état sanitaire des municipalités de la « Terre des feux », « le contexte épidémiologique de la population en question se caractérise par une série d’excès de mortalités, d’incidence du cancer et d’hospitalisation pour diverses pathologies, qui mettent en avant, parmi les facteurs de risque établis ou soupçonnés, l’exposition aux polluants émis ou dégagés par les sites d’élimination illégale de déchets dangereux et la combustion incontrôlée de déchets dangereux et solides municipaux. En particulier, il y a une surreprésentation d’enfants hospitalisés pour tous les cancers, dans leur première année de vie et aussi un excès de cancers du système nerveux central, de même parmi le groupe des 0-14 ans12 ».

Ce dernier élément est particulièrement important parce que la Campanie en tant que région d’un pays membre de l’Union européenne devrait normalement garantir le respect des droits fondamentaux de l’homme. Le terme juridique « terre des feux » comprend aujourd’hui 90 municipalités13, un territoire d’une ampleur et d’une densité démographique non négligeables. Le paradoxe est que, malgré la multiplication des externalités négatives générées, il est encore aujourd’hui difficile de déterminer avec précision l’ampleur de la catastrophe sanitaire et environnementale en cours. D’après un document du Sénat italien (2018) : « La situation environnementale de la “Terre des Feux” est particulière et complexe. La présence de sites contaminés, la mauvaise qualité des plans d’eau, les pratiques illégales d’élimination des déchets et la combustion incontrôlée des déversements illégaux rendent très difficile l’identification de la population exposée14 ».

Pour les autorités italiennes, cette complexité est également liée à la présence de plusieurs variables telles que la « diversité des substances polluantes qui coexistent très souvent dans une même zone, la diversité des matrices polluées (air, sol, eau), […] et la diversité des mécanismes de cancérogenèse activés15 ». Donc, un cadre sanitaire et environnemental très alarmant. Dans ce contexte, l’urgence de mettre en place des politiques d’assainissement et de lutte contre la criminalité environnementale est évidente. Le danger du trafic illégal des déchets toxiques des Ecomafias n’a pas de limites, et le prévenir et le combattre devrait être un des principaux devoirs d’un État qui se définit comme « garant des droits fondamentaux ».

Les parcours des trafics illégaux des déchets sont longs, leurs articulations complexes, leurs profits remarquables et les dommages provoqués inestimables. Comprendre le système de fonctionnement du trafic illégal de la Camorra (qui s’avère être similaire au modus operandi d’autres Ecomafias), fournit un éclairage utile de la problématique étudiée. Cette analyse n’a pas la prétention d’expliquer la totalité du phénomène criminel, mais de le replacer dans une optique beaucoup plus large, en faisant émerger des éléments de réflexion nouveaux. Les responsables italiens, en laissant une telle situation prospérée, traitent inégalement sa population puisque certaines franges doivent subir des risques dont les conséquences s’inscrivent dans le temps long.

Une structure complexe et opportuniste

Les intermédiaires

La structure du trafic illégal de la Camorra est complexe et englobe plusieurs étapes, acteurs et outils différents. Afin de la comprendre, il faut penser au système de fonctionnement d’un réseau commun d’entreprises légales offrant une série de services spécifiques à d’autres firmes. Ce détour par l’économie légale favorise la compréhension, car le crime organisé emprunte pour partie les méthodes du monde légal.

Au sein de la filière illégale de traitement de déchets des écomafias, apparaissent quasi systématiquement des intermédiaires. La figure du stakeholder est stratégiquement importante, car il tisse le lien avec les entrepreneurs, donc le client final. Il représente le point de contact entre l’offre et la demande. Dans le contexte de l’Ecomafia, ces intermédiaires s’arrangent pour mettre leurs informations, compétences et savoir-faire à disposition de l’organisation criminelle. La connaissance est une ressource d’importance dont l’organisation a besoin, notamment en ce qui concerne le cadre économique légal dans lequel ils opèrent. D’après une enquête réalisée en 2009 par la police environnementale italienne, la définition du stakeholder est libellée ainsi ; « il représente le lien entre le producteur et les entreprises de stockage/collecte/élimination des déchets ; il identifie les solutions les plus rentables pour l’élimination des déchets ; il offre un service alternatif qui garantit la réduction des coûts et il est constamment à la recherche de nouveaux sites où il peut diriger ses déchets16 ». Ces derniers éléments nous montrent clairement que cet acteur est nécessaire au bon fonctionnement de la chaîne du trafic illégal des déchets des écomafias.

 

Les sociétés écrans

Immédiatement après la phase initiale de l’intermédiation, on peut évoquer celle non moins importante d’un réseau de sociétés écrans et de consortiums gérés par l’organisation criminelle. D'après un rapport sur les phénomènes criminels nationaux et internationaux de la direction nationale Antimafia (2005), « la Camorra a le contrôle total du trafic des déchets à travers la gestion de décharges illégales (créées dans des caves et des terrains) et à travers la collecte des déchets assurée par des entités détenues par des sociétés écrans qui remportent les appels d’offres. Les différentes étapes du trafic – collecte, transport, dissimulation et élimination – et le besoin de compétences spécifiques, rendent nécessaire la création d'un réseau d'entreprises disposant d'outils technologiques appropriés. Les sociétés écrans agissent de manière structurée et coordonnée dans les différentes étapes de l'activité illicite17 ». La création, parfois l’absorption, de sociétés écrans en se servant d’un réseau de « prête-noms » dont dispose l’organisation, constitue encore aujourd’hui, un des outils clés de la Camorra qui lui assure une gestion efficace du trafic illégal des déchets18. Les prête-noms et les sociétés écrans ne sont pas illégaux en eux-mêmes, mais sont détournés par les « entreprises criminelles ». Cette apparence légale leur permet de remporter des appels d’offres et constitue, par ailleurs, une des techniques sophistiquées de blanchiment d’argent facilitant la réintroduction des profits criminels dans l’économie légale19.

Un certain nombre d’entreprises dont la justice est parvenue à déterminer les liens avec la Camorra ont leur siège légal au nord de l’Italie. Si on prend en compte seulement la sphère liée au trafic illégal des déchets, ces entreprises sont déjà impliquées dans le secteur des constructions, des transports, de l’export, de la gestion des sites de stockage, des sites de compostage et des décharges autorisées (très souvent à participation publique), voire illégales.

Pour en revenir aux étapes de la filière illégale, immédiatement après l’intermédiation avec le client et la collecte des déchets, il y a le dépôt dans des décharges ou des centres de stockages gérés par les clans de la Camorra. D’un point de vue juridique, le stockage est une phase du processus de gestion légale des déchets qui consiste à déposer les déchets sur un site donné en attendant leur destination finale (traitement ou recyclage20).

Du point de vue de la Camorra, le centre de stockage est le point névralgique du trafic illégal des déchets, car c’est le maillon où l’organisation réalise les opérations de manipulation des documents administratifs, nécessaires à la réussite du trafic.

D’après un rapport de la police environnementale italienne, « le centre de stockage est fonctionnel à la mise en œuvre du “détournement du bordereau de suivi de déchets (BSD)”, qui consiste en la variation exclusivement documentaire et donc administrative des déchets. Les déchets poursuivent leur voyage soit avec un formulaire indiquant un autre type de déchets, soit avec un simple document de transport 21 ». Globalement, les sociétés écrans de la Camorra arrivent à déclarer de fausses quantités et qualité des déchets notamment à travers la manipulation du catalogue européen des déchets (CED) et à travers la falsification du BSD. En Italie ce mécanisme est baptisé : « il giro di bolla 22 ».

 

Cette opération est à la base du système de traitement illégal des déchets toxiques de la Camorra. Les déchets qui sont censés être traités selon des procédures spécifiques et très coûteuses, grâce à la manipulation des documents administratifs, finissent par être enfouis illégalement par la Camorra ou exportés afin d'être revendus 23.

 

C'est précisément à l'étape du site de stockage qu’a lieu la procédure de « transformation » du document de « déchets toxiques » en « déchets traités 24 ». Il s’agit alors d’un semblant de traitement, lequel ne s’est jamais réalisé. Ainsi, le document administratif se voit modifié mais pour les déchets, ce n’est qu’une fiction ; les déchets conservent exactement les mêmes caractéristiques du stade de leur production, en particulier leur toxicité.

Grâce à cette manipulation, d'un côté les entreprises peuvent bénéficier des services de la Camorra, en économisant fortement sur les coûts de gestion et le traitement légal des déchets, de l'autre, l’organisation peut enfouir illégalement ou encore mieux, elle peut exporter ses déchets (en réalisant des profits substantiels). A fortiori, le mécanisme est assuré grâce à l’apparente conformité légale du processus. Les documents administratifs présentés à l'issue de la chaîne respectent, en effet, la loi en vigueur, ils attestent un traitement des déchets légal et bien effectué. La manipulation des documents administratifs cache totalement l'illégalité et laisse une énorme marge de manœuvre à la Camorra, en lui offrant des conditions aisées de s’enrichir. C'est là que réside la difficulté pour les autorités publiques.

Donc, la phase du centre de stockage est indispensable à l'établissement du trafic de déchets, à leur exportation illégale et, par conséquent, à l'organisation criminelle par les gains aisés qu'il procure. Dans le cadre de la lutte contre le trafic illégal des déchets, la Commission européenne accorde une attention particulière aux points de collecte et aux centres de stockage, afin de pouvoir effectuer des inspections à un stade précoce, de sorte que les exportations illégales de déchets puissent être stoppées en amont 25.

Ce dernier élément confirme l’importance stratégique du centre de stockage pour l’Ecomafia, mais aussi pour ce qui est de la lutte contre le trafic transfrontalier illégal des déchets, suggérant l'importance d'un accroissement des contrôles et de la coopération entre les forces de l'ordre.

Les membres de la Camorra ont recours à une forme « d'esprit d'entreprise ». En effet, leur capacité entrepreneuriale se traduit par la création ou la recherche de marchés illégaux (là où il y a des lacunes ou des coûts considérés comme excessifs), par les nombreuses opérations de blanchiment d’argent réalisées à l'échelle internationale, mais surtout par la diversification pérenne des affaires criminelles. Notamment, dans le cas du trafic illégal des déchets, un exemple concret est fourni par l’affaire du « compost » qui implique dans le processus illégal le centre de compostage ayant des fonctions quelque peu similaires à celles du centre de stockage.

On a ici une diversification de l’offre illégale, car avant d’atteindre le stade de l’exportation, la Camorra crée un faux compost avec des déchets non traités, afin de les revendre à l’étranger en tant que fertilisants pour l’industrie agricole. Bien évidemment, encore une fois, la manipulation des documents administratifs est indispensable. En effet, la police environnementale italienne, se référant à la falsification du BSD, affirme que cette manipulation permet de « pouvoir insérer les déchets frauduleusement, en annulant les couts d’élimination, dans le circuit des matières premières, tels que les fertilisants destinés à l’agriculture26 ».

Les fertilisants agricoles apparaissent comme une source de profit illégale, participant alors à nourrir l'économie criminelle. Les atteintes à l’environnement et à la santé humaine sont ici concentrées dans une seule transaction. Un certain nombre d’enquêtes judiciaires viennent étayer cette pratique, notamment deux d'entre elles : une opération des forces de police nationale baptisée « Re Mida Ultimo atto e Carosello », des quantités importantes de déchets provenant de différentes sociétés de stockage et/ou d'intermédiation du nord et du centre de l’Italie, ont été traitées de manière fictive dans des usines situées dans différentes régions d’Italie en fonction de la disponibilité de l'organisation criminelle. Après de nombreux passages dans la chaîne illégale, les déchets étaient destinés à la production de fertilisants pour l'industrie agricole et, par conséquent, à l’épandage et dissémination sur les terres agricoles27. Citons encore une autre opération anti-mafia dénommée « Sacher Compost » menée entre juillet 2005 et avril 2006 par le Nucleo Operativo di Udine, trois tonnes de déchets toxiques ont été mélangés aux algues afin de produire de « faux » fertilisants exportés en Autriche et destinés à l'industrie agricole.

Deux exemples qui indiquent l'intérêt de la mafia pour le déchet et qui confirme que ces organisations ne s'embarrassent pas de questions morales. La première opération citée ci-dessus a permis la confiscation de 15 véhicules utilisés pour le traitement des déchets, 8 sociétés, leurs bureaux commerciaux et les sites de traitement des déchets, pour un chiffre d’affaires total de 27 millions d’euros et une écotaxe non acquittée de 750 000 euros. Quant à la deuxième opération « Sacher Compost28 », le bénéfice économique obtenu par l’organisation est estimé à environ 10 millions d’euros. La fameuse phrase du mafieux repenti de la Camorra Nunzio Perrella « la munnezza é oro », « la poubelle vaut de l'or » prend ici tout son sens29.

L'importance de la rentabilité du trafic illégal des déchets explique pourquoi ce secteur est si bien structuré et pourquoi il implique plusieurs pays d’Europe et du monde entier. Se référant au secteur des déchets, l’Europol affirme en 2013, « l’implication des organisations criminelles dans ce commerce est bien démontrée, tant pour le trafic intra-UE qu’extra-UE. Dans ces derniers cas, les États membres de l’UE sont des pays d’origine ou de transit pour les déchets qui sont principalement transférés en Afrique de l’Ouest et en Asie du Sud-Est 30 ».

La dimension transnationale du phénomène est plutôt évidente. Parmi les zones mentionnées ci-dessus, il y a l’Afrique concernée depuis de nombreuses années et devenue une destination importante pour le trafic illégal de déchets toxiques (notamment les DEEE 31). Un exemple concret du lien entre l’Ecomafia italienne et l’Afrique est donné par le trafic illégal de déchets textiles. « D'après l’enquête, menée par la "squadra mobile" de Rome, profitant de à la présence de plusieurs coopératives, l’Ecomafia exportait ses déchets, des vêtements usagés récoltés dans les bacs de collecte publique, dans des conteneurs à Civitavecchia et Salerne vers l’Afrique avec plus de 3 000 tonnes de vêtements par an 32 ».

Quant à l’Asie, elle est également une destination mondiale pour le trafic illégal de déchets, et l’Ecomafia italienne ne s’est évidemment pas abstenue de traiter avec cette partie du monde. Un exemple est l'arrêt du tribunal de Rome en 2017 qui a mis en lumière l’existence d’un trafic transfrontalier illégal de déchets toxiques (solvants, plomb, hydrocarbures) en provenance d’Italie (notamment des ports de Civitavecchia et Livourne) et destinés à l’Asie 33. Selon le rapport de la Commission parlementaire sur le trafic illégal des déchets, « les entreprises ont reçu, transporté, transféré, exporté et importé de grandes quantités de déchets dangereux et non dangereux, y compris par voie maritime. Notamment, elles ont effectué un grand nombre de transferts transfrontaliers illégaux de déchets non traités en dehors de l’UE - Chine, Pakistan, Indonésie et Corée […] 34 ». La dimension transnationale acquise par le trafic illégal de déchets donne à voir son ampleur et en conséquence sa dangerosité pour l'homme, l'environnement et l'économie.

 

Le rôle du transport

Le transport intervient à chaque étape de la filière illégale des déchets (de la collecte jusqu'aux points de décharge, voire à l’exportation). Étape décisive où les documents administratifs manipulés par la Camorra sont utilisés. Bien évidemment le service de transport est entièrement assuré par les entreprises de l'organisation criminelle 35. Il est désormais avéré que la route des déchets peut être très longue et concerner plusieurs pays et continents. Le territoire voit quotidiennement les convois de camions chargés de déchets illégaux circuler dans la péninsule, ce dès la fin des années 1980. Une réalité qui renvoie à la question du contrôle territorial par l’État italien.

D’ailleurs le seul système italien de traçabilité des déchets était le SISTRI (Système de contrôle de la traçabilité des déchets) que l’État italien a introduit dans le droit national en 2010, (afin de se conformer à la directive 2008/98/CE du Parlement et du Conseil européen), bien après le début du trafic illégal organisé par la Camorra (1980). Indiquons que ce système de traçabilité n’a jamais été véritablement opérationnel, de plus, il est abrogé le 14 décembre 2018 par un décret-loi 135/2018 36.

 

L’enfouissement illégal

Les déchets destinés à l’exportation ne le sont pas et restent à l’intérieur des frontières nationales pour être enfouis illégalement. Cette phase se traduit par des atteintes sanitaires et environnementales sérieuses : opérations d’enfouissement illégal dirigées par la Camorra comprenant : le dépôt des déchets dans des décharges autorisées ou clandestines, des incinérateurs de déchets municipaux, de carrières en cours d'assainissement, sous des ponts, sur des terrains abandonnés et sur des terres agricoles. Des déchets toxiques sont également versés dans les rivières et les cours d’eau, à l'instar de la rivière Sarno, en Campanie.

Cette rivière se situe dans un écosystème très fertile grâce au terrain volcanique et de paysages très riches tels que le parc régional de la rivière Sarno, le parc national du Vésuve, les zones circumvesuviennes, les monts Lattari et les monts Sarno. Aujourd’hui cette rivière Sarne est considérée comme le cours d’eau le plus pollué d’Europe, notamment dû à la présence de déchets toxiques 37. D’une longueur de 24 km de longueur, il alimente trois provinces de la Campanie et trente-neuf municipalités, donc la relative urgence environnementale concerne une population comprise entre sept cent cinquante mille et un millions d’habitants 38.

« Dès 1997, un rapport de l’OMS affirme que la région concernée avait un taux de mortalité par cancer et leucémie supérieur de 17 % à celui des autres régions du monde 39 ». Donc, la catastrophe sanitaire et environnementale est installée sur ces territoires depuis un certain temps 40.

Les enjeux d’assainissement signifient des appels d’offres et donc des possibilités d'infiltration des organisations criminelles 41.

En plus de la contamination des terres, des rivières et des nappes phréatiques, la combustion des déchets entraîne tout un ensemble d'externalités négatives, d'où l'expression « terre des feux ». Les rejets de dioxine et d'autres substances toxiques et cancérogènes affectent l’air, l’eau et la terre de la Campanie. En outre, la combustion est une opération d'élimination stratégique qui permet de faire disparaître les déchets et surtout leur provenance, qui rend impossible l'application du « principe pollueur payeur », car le lien entre les déchets et leur producteur est complètement coupé 42.

 

Les outils du succès du trafic : corruption et intimidation

Au-delà des techniques d’élimination, du transport, des sociétés écrans, et des intermédiaires, il y a encore deux autres éléments clés qui complètent le modus operandi de la Camorra et des autres écomafias : la corruption et l’intimidation. Ces outils ont assuré et assurent encore aujourd’hui l'intérêt pour ces organisations de perdurer dans le trafic illégal des déchets. Notamment pour la Camorra, la corruption assure le silence des acteurs qui peuvent représenter un obstacle pour l’achèvement des différentes étapes de l’activité illégale, elle permet la réalisation effective des objectifs criminels 43. Notamment, la corruption est indispensable à la délivrance d’analyses faussées, à la manipulation des documents administratifs, à l’obtention d’autorisations destinées à la mise en place des installations de traitements des déchets gérées par les clans, à remporter les appels d’offres pour la gestion des déchets et pour les politiques d’assainissement, mais surtout elle est indispensable pour assurer le silence des fonctionnaires publics et de tous les organes de contrôle 44. En fait, les crimes contre l’environnement ont été définis comme un « catalyseur de la corruption », parce que « de la même manière que les criminels perçoivent la criminalité environnementale comme une option facile, les personnes en position d’autorité et de pouvoir, voient la criminalité environnementale comme une chance d’encaisser 45 ». Citons un extrait d’un rapport de la direction nationale antimafia (2014) : « Compte tenu de l’extrême importance des intérêts économiques en jeu, qui sont également liés à d’importants travaux publics ; les sujets, organismes, structures (publics et privés) intervenant dans le cycle des déchets et, dans certains cas, chargés de veiller au respect de la loi, font partie des pratiques les plus sophistiquées de gestion illégale des déchets, le tout facilité par l’outil de la corruption 46 ».

Afin d’atteindre ses objectifs, l’Ecomafia, ne cible pas les ministres ou les acteurs au sommet de l’État, elle vise plutôt des éléments des secrétariats, de l’administration, qui semblent plus faciles d’accès avec un coût acceptable pour ces clans. Une conséquence de cette infiltration est donnée par le rapport de Legambiente (2018), « l’année 2018 est une année record pour la dissolution des administrations municipales en raison de l’infiltration de la Mafia. Seize municipalités ont été dissoutes depuis janvier, 20 en 2017. Alors que 44 municipalités sont actuellement mises sous tutelle suite à leur dissolution (il y en a aussi certaines dissoutes en 2016 et prolongées) 47 ».

Le deuxième outil clé du trafic illégal des déchets est l’intimidation. La Camorra exerce une emprise territoriale à travers l’usage de la force et l’intimidation. D’une certaine manière la réputation la précède. En outre, elle joue un rôle de quasi-employeur puisqu’elle offre des possibilités d’emploi illégal (racket) à des franges de la population locale en situation d’exclusion sociale. Le système d’intimidation mafieuse est très ancien, marqué par un contexte de faiblesse de l’État central. Si les dépôts de plainte sont rares, il n’en reste pas moins que l’action de dénonciation de la part des comités de citoyens et associations reste assez élevée 48. Pour autant et en dépit d’une mobilisation d’une partie de l’opinion publique via des mouvements de protestation contre la Camorra et notamment contre l’état actuel de la Terre des Feux, la majorité de la population se résout à subir en silence les dommages générés par ce trafic. En bref, les réactions populaires ne trouvent pas de réponse du côté des institutions dans ces territoires caractérisés par une « présence traditionnelle mafieuse ».

Après cette première partie descriptive du trafic illégal de déchets en insistant sur son cadre opérationnel, il est utile, à ce stade de l’analyse, de comprendre réellement les raisons pour lesquelles le trafic illégal des déchets toxiques organisé par la Camorra a pu se mettre en place. À cette fin, il est nécessaire d’identifier les « conditions » institutionnelles qui ont présidé à l’infiltration et à la cristallisation de la criminalité organisée dans le domaine des déchets. Il importe d’intégrer la dimension communautaire européenne et en particulier la législation communautaire en matière de gestion des déchets.

 

Les responsabilités partagées : l’Union européenne et l’État italien

La législation communautaire

L’Union européenne a fixé un cadre juridique pour le traitement de déchets dans les États membres afin de mieux réglementer leur gestion, notamment dans le cas des déchets toxiques. À travers ses directives-cadres 49, elle contribue à mieux définir la terminologie, les obligations administratives pour les entreprises, les obligations pour les États membres et le système de contrôle des déchets dans l’espace communautaire. Grâce à ce travail législatif, l’Europe se dote d’un langage commun et de définition de notions de base telles que celles des « déchets », de la valorisation et de l’élimination. Les autorités européennes précisent le principe « pollueur-payeur 50 », introduisent le principe de « responsabilité élargie du producteur 51 », et en enfin, l’imposition de plusieurs obligations pour les États membres (notamment l’obligation d’établir des plans de gestion des déchets52). Le législateur européen s’est également soucié de la traçabilité des déchets dangereux, depuis le stade de leur production, jusqu’à leur destination finale 53. Les directives ont un caractère impératif pour les entreprises exécutant des opérations de gestion des déchets, elles imposent la tenue de registres chronologiques (indiquant la quantité, la nature, l’origine, la destination, la fréquence de collecte, le moyen de transport et le mode de traitement envisagé pour les déchets), l’obligation d’être enregistrés et l’obligation d’être soumis à des inspections périodiques effectuées par les autorités compétentes 54. Les obligations pèsent autant sur les entreprises que sur l’État, en témoigne l’article 13 de la directive européenne du 2008 : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que la gestion des déchets est faite sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement 55[..] ».

La législation européenne en matière de déchets est transposée pour la première fois dans le droit italien par le décret législatif « Decreto Ronchi » en 1992, qui qualifie la gestion des déchets en tant qu’activités d’intérêt public, destinées à garantir une efficace protection de l’environnement56.

L’implication de la Camorra dans le trafic de déchets, il y a près de 35 ans, indique un opportunisme réel en dépit de textes normatifs dotés dès le début des années 1990 d’orientations contraignantes mais n’ayant pas produit les effets escomptés.

L’ensemble des mesures et des contraintes imposées par l’Union européenne était censé conduire les États membres et les entreprises vers une plus forte responsabilité en ce qui concerne la gestion des déchets industriels. Mais la pratique demeure éloignée des ambitions affichées.

Il faut tout d’abord considérer que la législation communautaire en matière de la gestion déchets est assez vaste et complexe. Les nombreux changements des dispositions dans ce domaine, entraînent très souvent la non-conformité des entreprises à la législation en vigueur, car il reste difficile de se conformer dans des délais restreints aux changements législatifs. De plus, dans la pratique, l’augmentation des contraintes administratives n’a pas empêché les organisations criminelles de s’insérer dans ce secteur, en contournant et en falsifiant les documents requis. D’où la manipulation du Catalogue européen des déchets57 et le détournement du BSD en italien le « Giro di bolla58 ».

Ensuite, les dispositions communautaires mettent en exergue le principe « pollueur = payeur », selon lequel celui qui pollue paye le coût de sa pollution. Une formule initialement efficace adossée à une théorie très claire, mais la question demeure son application. Autre interrogation, celle de savoir quel est (quels sont) le ou les organismes chargés d’assurer le respect de la législation européenne ? Or, c’est à l’échelle de chaque État membre que cette responsabilité est à endosser alors qu’il y a une grande disparité parmi les États membres, l’Italie présentant des défaillances réelles. En effet, les opérations illégales du trafic de déchets organisé par la Camorra, à l’origine du phénomène de la Terre des Feux, mettent à défaut l’ensemble du dispositif normatif, qui n’a pas de portée contraignante, en l’espèce. Le coût social généré par ces crimes environnementaux est payé par la collectivité. L’État italien, en cette matière, a montré ses faiblesses pour protéger la population et engage sa responsabilité. Or, l’identification des responsables reste difficile, car la chaîne qui lie les déchets à son producteur est rompue (exportation, incendies, déversements illégaux dans les cours d’eau et enfouissement illégal).

Mentionnons un effet indirect, en forme de paradoxe, induit par le durcissement de la législation communautaire et donc par l’augmentation des contraintes administratives qui a conduit à une hausse remarquable des coûts de gestion, de traitement et d’élimination des déchets pour les entreprises. La raison en est simple. La prolifération de la réglementation dans le domaine a augmenté les contraintes que les entrepreneurs ont l’obligation de respecter, elle a accru la complexité des procédures de traitement, en provoquant automatiquement la hausse des coûts de gestion des déchets. Des coûts que les entrepreneurs ne voulaient pas et ne veulent toujours pas supporter aujourd’hui. D’où la recherche de l’offre la plus avantageuse et donc l’existence d’une « demande » à laquelle répondront rapidement les écomafias. Il suffit de penser que selon les estimations des autorités italiennes (Guardia di Finanza), « si l’élimination légale d’un conteneur de 20 pieds chargé de déchets dangereux (soit environ 15 tonnes de matériaux) a un coût moyen de 60 000 euros, le marché illégal parvient à réduire ce coût, pour la même quantité de déchets, à seulement 10 % (avec un coût de 6 000 euros environ) 59 ».

Aujourd’hui, les entreprises cherchent à minimiser le coût de traitement des déchets, car il peut grever le profit d’une firme. Un des objectifs prioritaires de la législation européenne est tourné vers la mise à disposition des entreprises agissant en Europe des outils 60 pour réduire les coûts de gestion des déchets, afin de les dissuader de se tourner vers l’offre illégale. Ou alors, l’Union pourrait accompagner les États pour mettre en place des infrastructures publiques qui permettraient un traitement des déchets toxiques et un contrôle de ces traitements, sans que le coût soit totalement imputé aux entreprises. Or, en pratique, le durcissement de la législation communautaire a plutôt conduit à la hausse des coûts de gestion, de traitement et d’élimination des déchets.

À ce titre, l’excès de réglementation entraîne des comportements non conformes et pousse certains acteurs à la contourner (G. Stigler), voire à recourir à l’illégalité et au marché noir.

Dans ce contexte, les coûts élevés de gestion des déchets, le manque de contrôle de la filière et l’absence de solutions alternatives possibles ont incité beaucoup d’entrepreneurs du nord de l’Europe et de l’Italie à se tourner vers les acteurs illégaux de la gestion des déchets, au premier rang desquels la Camorra.

Le trafic des déchets toxiques commis par la Camorra n’est qu’un volet des nombreuses filières illégales de déchets gérées par les organisations criminelles. Le trafic de déchets va au-delà des frontières italiennes et implique d’autres territoires notamment du nord de l’Europe. Si les directives européennes fixent les orientations de la régulation des déchets, il existe encore des espaces d’harmonisation juridique entre les Pays de l’Union européenne 61.

D’après un rapport d’enquête de la commission sur les activités illégales liées au cycle des déchets : « les principales lacunes des systèmes de contrôle des États membres (hors Italie) sont le manque de planification des inspections et de l’évaluation des risques et l’absence de contrôles permettant de détecter à l’avance les exportations illégales. Les inspections dans les ports et les routes ont montré que dans l’Union européenne, environ 25 % des transferts des déchets ne sont pas conformes au règlement de l’UE (n. 1013/2006). Toutefois, il n’est pas possible de disposer d’informations précises sur le nombre de transferts illégaux de déchets en raison de leur nature. Des problèmes importants dans la collecte de données fiables sur les transferts de déchets, résultent également de l’insuffisance des rapports présentés par les autorités nationales et du manque d’harmonisation du système de contrôle entre les États membres 62 ». Un obstacle majeur à la lutte contre les crimes environnementaux réside dans leur complexité à être mis à jour : « en général, les enquêtes sur les crimes contre l’environnement sont fastidieuses et techniques et donc nécessitent des connaissances spécialisées, ce qui n’est pas très courant dans les forces de l’ordre et les services du ministère public. Une formation spécifique serait donc nécessaire. Souvent, en sus de ce manque d’expertise dans le domaine, le problème le plus grave reste le manque de personnel. Sans compter que les crimes contre l’environnement sont faiblement priorisés dans la plupart des pays, ce qui est en partie lié à la difficulté d’obtenir des données fiables sur les différents cas 63 ».

En plus de ces obstacles, la lutte contre le trafic illégal des déchets est fortement entravée par le niveau de risque, élément qui détermine le choix économique de pénétrer ou pas un secteur qu’il soit légal ou illégal. En cette matière, le risque auquel sont confrontés les criminels est faible 64. D’après l’Intelligence Project on Environmental Crime, « les peines sont souvent trop légères ou trop limitées […]. Dans de nombreux cas, les peines appliquées le sont pour d’autres infractions plus générales, telles que la fraude ou la falsification de documents. Les circonstances aggravantes ne sont pas toujours mises en œuvre dans les décisions judiciaires. Les peines de prison ferme semblent être très rares65 ». Ce qui suggère un renforcement du système répressif. L’enkystement des écomafias est aujourd’hui tel qu’un changement législatif vers une sévérité accrue ne garantit pas le retour à une normalisation de la politique de la lutte contre les déchets. Ainsi, ce seraient les filières illégales de gestion de déchets qui tendent à faire leur nid en Europe, au-delà de l’Italie. D’après Europol, « Au niveau de l’UE, il n’y a pas de coordination, notamment pour les transferts de déchets, y compris les déchets électroniques (DEEE) [..]. Il n’existe pas non plus de système électronique ou de base de données internationale ou européenne pour les mouvements de déchets. Il n’existe pas d’approche internationale multi-agences pour ce domaine de la criminalité, ni d’organe officiel. De plus, la criminalité environnementale n’est pas une priorité internationale ou européenne, ce qui pourrait encourager davantage de juridictions à se concentrer sur ce domaine de criminalité ou à mettre en place des polices ou des forces d’intervention européennes spécialisées appropriées 66 ». Malgré des marges de progression de la part des institutions dans la lutte contre ce type de criminalité, on peut indiquer que le travail législatif accompli à ce jour par l’Union européenne reste important. Ce renforcement se justifie notamment par les dommages causés à l’Europe et à ses citoyens. L’expérience italienne a montré une forme de « carence » de l’État, dont l’inaction a été sanctionnée à plusieurs reprises par la Cour de justice de l’Union européenne (avec plus de 20 affaires portées devant la Cour).

 

L’État italien : les condamnations de la Cour de justice de l’Union européenne et la censure

C’est le 29 juin 2007, dans le cadre de la procédure d’infraction 2007/2195 contre la République italienne, que la Commission européenne envoie aux autorités italiennes une lettre de mise en demeure leur reprochant une violation des articles 4 et 5 de la directive européenne 2006/12/CE, pour ne pas avoir créé dans la région Campanie un réseau intégré et approprié d’installations d’élimination des déchets. Tout un ensemble de manquements est relevé comme l’absence d’un système efficace de gestion des déchets, le manque de plan de gestion 67 des déchets en Campanie (mais également en Latium 68). Le recours de 2007 de la Commission a été reçu par la Cour de justice de l’Union européenne qui avec son arrêt du 4 mars 2010 condamne la République italienne aux dépens 69. En l’espèce, la Cour affirme publiquement et pour la première fois : « En n’ayant pas adopté, pour la région de Campanie, toutes les mesures nécessaires pour garantir que les déchets soient valorisés et éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans porter préjudice à l’environnement, et en particulier en n’ayant pas établi un réseau adéquat et intégré d’installations d’élimination, la République italienne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu des articles 4 et 5 de la directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets 70 ».

Par la suite, les lacunes ont persisté dans le domaine, la dynamique n’a pas changé. La Commission européenne a réitéré une nouvelle procédure d’infraction contre l’Italie afin de faire constater à la Cour le non-respect de l’arrêt de 2010, étant donné l’expiration du délai imparti et les constantes carences structurelles des installations d’élimination des déchets. Il s’est ensuivi un autre arrêt en 201571 dans lequel la Cour de justice de l’Union européenne condamne l’Italie, d’une part, à une astreinte de 120 000 euros par jour de retard dans la mise en œuvre de l’arrêt de 2010 et, d’autre part, à une somme forfaitaire de 20 millions d’euros. De telles sanctions ont continué puisqu’en mars 2019, 44 décharges sont pointées pour mauvaise gestion 72. Dans ce contexte, les amendes ne sont pas un aspect négligeable, surtout dans une situation ou l’État fait face à de l’instabilité économique et de persistantes carences structurelles en termes d’installations d’élimination des déchets.

Plus récemment, la Cour de Strasbourg a accueilli les recours reçus de citoyens et d’associations issus de la zone de « Terre des Feux » qui dénoncent la violation de leurs droits à la vie et au respect de la vie familiale (cf. Convention européenne des droits de l’homme). Les requérants soutiennent que « l’État n’a pas pris de mesures pour réduire le danger, alors qu’il était conscient du risque réel et immédiat 73 ». Autre aspect à mentionner, les accusations portées contre l’État comprennent également le non-respect de l’article 10 de la Convention des droits de l’homme, à savoir le droit d’être dûment informé 74. En d’autres termes, la population n’a pas été informée des risques sanitaires. Ce défaut d’information est patent puisqu’une déclaration d’un chef repenti de la Camorra, Carmine Schiavone, a été censurée (1997 75). Ce dernier a révélé aux autorités judiciaires la structure du trafic illégal des déchets toxiques et les terrains contaminés où les déchets toxiques étaient enfouis.

Il affirmait ainsi : « Je ne crois pas que les habitants des villes telles que Casapenna, Casal di Principe, Castel Volturno 76 puissent survivre plus de vingt ans 77 ».

 

Conclusion

Sous un angle économique, la Camorra est une organisation qui s’est immiscée dans une offre structurée à prix avantageux (parallèle à la filière légale), en englobant la demande des entrepreneurs du nord de l’Italie et de l’Europe et notamment en parvenant à proposer, au fur et à mesure, les conditions et les outils pour perfectionner et multiplier les services offerts.

Cette analyse a montré à quel point le trafic illégal de déchets est un phénomène organisé, rentable et très dommageable pour la santé humaine et l’environnement. Le trafic illégal de déchets est devenu un secteur attractif pour ce qu’il convient d’appeler l’écomafia. L’offre illégale (collecte, transport, élimination et exportation illégale) et leurs techniques de blanchiment d’argent empêchent le jeu ordinaire de l’économie. Leur situation de monopole grâce à des prix très attractifs tue littéralement la concurrence.

En Campanie, le trafic illégal de déchets a donc entraîné des atteintes économiques, sanitaires et environnementales sans précédent dont les conséquences vont continuer de se produire encore pour plusieurs décennies. Une situation qui tend à s’étendre à d’autres régions d’Italie, d’Europe et y compris en Afrique et en Asie. En d’autres termes, les économies modernes n’ont jamais produit autant de déchets, les comportements opportunistes pour les traiter de manière illégale et donc au moindre coût se multiplient. Nous avons souligné les carences des systèmes de gestion des déchets et des systèmes de lutte contre l’écomafia, car les possibilités d’inspection et de contrôle sont limitées. En Europe, en dépit d’un cadre législatif de plus en plus strict et étoffé, l’infiltration et la cristallisation de la criminalité organisée dans le secteur des déchets se sont répandues.

Dans ce contexte, une recommandation reviendrait à renforcer les contrôles sur les filières de gestion des déchets et de consacrer des investissements à la mise en place de systèmes efficaces de traçabilité, car le peu de contrôle est une condition nécessaire pour la prolifération des trafics illégaux de l’écomafia. Il s’agirait également de créer un organe européen spécifique de lutte contre la criminalité environnementale, de former les forces de l’ordre, d’accroître l’échange d’informations entre Pays 78 et la coopération entre les différents acteurs répressifs du domaine (agence douanière, police antimafia et services de renseignement). La Camorra comme d’autres écomafias ont pénétré depuis un certain temps ce secteur eu égard à sa rentabilité et à la faiblesse des risques encourus. L’objectif consisterait pour les autorités à en faire une activité « high risk ». On peut déplorer que le secteur même de l’assainissement soit l’objet d’infiltration criminelle, notamment de la Camorra. Ce qui suggère d’adopter une vision d’ensemble du secteur, de ses conséquences et de sa pérennisation.

Étant donné le caractère transnational de certaines filières, il importe de mettre en œuvre une logique d’aide et de coopération avec les institutions supranationales, européennes, surtout dans le cas où les États présentent des déficiences importantes en matière de gestion des déchets. Il est juste de sanctionner les différents États membres en cas de violation, mais il est encore plus utile de les accompagner et de les assister, afin qu’ils puissent mettre en place un dispositif efficace.

Une fois la filière illégale installée, les coûts sociaux et économiques tendent à se multiplier, à l’instar de ceux liés aux procédures d’assainissement des territoires contaminés, ceux qui concernent la réimportation des déchets après leur exportation illégale, enfin les dépenses liées à la dimension sanitaire (hausse des malformations et des cancers), qui pèsent fortement sur les caisses publiques.

De plus les exportations illégales de déchets représentent également une perte de matières premières, donc de ressources qui auraient pu être exploitées, en contribuant positivement au cycle économique national 79. Le développement de politiques de soutien pour les entrepreneurs européens dans leur gestion des déchets et l’investissement dans la consolidation des filières légales (avec les aides provenant tant du privé que du public) offriraient une piste judicieuse d’une alternative concrète et avantageuse.

Pour clore ce papier sur les filières illégales des déchets toxiques, il convient de garder à l’esprit la présence mafieuse bien au-delà du secteur des déchets, mais qui peuvent néanmoins être connexes, comme celui de la contrefaçon de marchandises (en collaboration avec les organisations criminelles originaires de Chine dont le port de Naples représente un nœud d’importance), de l’extorsion de fonds, de l’usure, de la contrebande de tabac, de la loterie clandestine 80, du contrôle des appels d’offres 81 de la restauration, du commerce des vêtements, de la distribution de carburant 82. Elle occupe également le terrain de l’agroalimentaire (où l’écomafia italienne aurait réalisé un chiffre d’affaires de 24,5 milliards d’euros en 201883), et des énergies renouvelables 84.

La Camorra a désormais complètement pénétré l’économie légale et comme l’a affirmé la direction nationale antimafia : « elle étend de plus en plus ses activités au-delà des frontières régionales et nationales 85 ». Pour terminer ce tableau, la Camorra se caractérise également par un niveau élevé d’infiltration dans le secteur de l’administration publique et des autorités locales, à titre d’illustration, la province de Naples est celle où l’on enregistre le plus grand nombre de dissolutions de conseils municipaux du fait de l’infiltration mafieuse 86.

 

Notes

(1) Terra dei fuochi (TdF) est un vaste territoire qui comprend une partie des provinces de Naples et de Caserte : principalement dans le quadrilatère situé entre la côte domitienne, la campagne Aversano-Atellano, la campagne Acerrano-Nolano, du Vésuve et la ville de Naples. Le territoire actuellement délimité par la « terre de feu » comprend 90 communes. La répartition par registre des tumeurs (RT)/ASL est la suivante : 34 pour Caserta ; 35 pour RT/ASL Napoli 3 Sud ; 20 pour RT/ASL Napoli 2 Nord ; 1 pour RT/ASL Napoli 1 Centro (présidence du Sénat, 10 janvier 2018, « Document approuvé par le 12e comité permanent de l’hygiène et de la santé, à la suite d’une enquête sur les effets de pollution environnementale sur l’incidence du cancer et des malformations feto-néonatales et épigénétiques », Doc. XVII n° 12 p.141).

(2) Roberto Saviano, « Rifiuti in Campania e terra dei fuochi il più grande avvelenamento di massa in un Paese occidentale », 24 septembre 2013, (https//fanpage.it/).

(3) « 1994 : Ecomafia est le mot que l’ONG Legambiente utilise pour décrire les atteintes contre l’environnement par les organisations mafieuses. En 1999, le terme Ecomafia est inclus dans le dictionnaire italien comme «branche de la mafia qui gère des activités très dangereuses pour l’environnement, comme la construction non autorisée et l’élimination illégale de déchets toxiques” ». (http://www.unicri.it/topics/environmental/conference/Expert_Group_II_-_Antonio_Pergolizzi.pdf).

(4) Direzione Nazionale Antimafia, 2014 (période 01/07/2013 – 30/06/2014), Relazione Annuale, p. 334- 335.

(5) Europol et Environmental Crime Network, 2015, « Intelligence Project on Environmental Crime », The Hague, 20 février, p. 20.

(6) Ibid. p.1.

(7) Service de presse de Legambiente 06 86268399-353, 2018, « Legambiente présente le Rapport Eco-Mafia 2018 ». (https://www.legambiente.it/legambiente-presenta-il-rapporto-ecomafia-2018/).

(8) Ibid.

(9) Scialoja (A.), 2018, « Legambiente présente le Rapport Ecomafia 2018 », Service de presse de Legambiente N° 06 86268399 – 353. (https://www.legambiente.it/legambiente-presenta-il-rapporto-ecomafia-2018/).

(10) Environmental Crime Network, 27.05.2016, «Report on Environmental Crime» , The Hague, p. 8. (www.envicrimenet.eu ). (11) Présidence du Sénat de la République italienne, 10 janvier 2018, « Document approuvé par le 12e comité permanent de l’hygiène et de la santé, à la suite d’une enquête sur les effets de la pollution environnementale sur l’incidence du cancer et des malformations feto-néonatales et épigénétiques », Doc. XVII, n°12, p. 74-75.

(12) Istituto Superiore di Sanità, 2015, « Mortalità, ospedalizzazione e incidenza tumorale nei Comuni della Terra dei Fuochi in Campania », Rapporti ISTISAN 15/27, (relazione ai sensi della Legge 6/2014), p. 149.

(13) Présidence du Sénat de la République italienne, 10 janvier 2018, « Document approuvé par le 12e comité permanent de l’hygiène et de la santé, à la suite d’une enquête sur les effets de la pollution de l’environnement sur l’incidence du cancer et des malformations feto-néonatales et épigénétiques », Doc. XVII n°12 p. 50.

(14) Ibid. p. 141.

(15) Présidence du Sénat de la République italienne, 10 janvier 2018, « Document approuvé par le 12e comité permanent de l’hygiène et de la santé, à la suite d’une enquête sur les effets de la pollution de l’environnement sur l’incidence du cancer et des malformations feto-néonatales et épigénétiques », Doc. XVII n°12 p. 144.

(16) Commandement des carabiniers pour la protection de l’environnement, 26 mars 2009, « Techniques d’enquête dans le domaine du trafic illicite de déchets ».

(17) Legambiente, 2006, « Rapporto Ecomafia 2006 », p. 87.

(18) « Les trafiquants illégaux de déchets opèrent désormais tout au long de la chaîne de traitement des déchets, s’appuyant largement sur l’utilisation de structures commerciales légales pour leurs activités. Le trafic illégal des déchets implique généralement l’utilisation de documents frauduleux » (Europol, 2017, “EU Serious and Organized Crime Threat Assessment 2017” SOCTA 2017, p. 41).

(19) D’après Interpol « Le marché illégal des déchets électroniques est étroitement lié à l’industrie légale. Les actes criminels sont souvent commis au sein d’une structure d’entreprise et sont principalement motivés par des enjeux financiers. La frontière entre légal et illégal s’estompe facilement, en particulier dans les cas où des acteurs conformes et non conformes transigent entre eux » (Interpol, 2014, «Definition of Organised Crime», p. 20.).

(20) Art. 183 comma 1 lettera aa) del D.Lgs. 152/2006.

(21) Commandement des carabiniers pour la protection de l’environnement, 26 mars 2009, « Techniques d’enquête dans le domaine du trafic illicite de déchets ».

(22) « L’expérience italienne a montré une utilisation régulière du “système Giro di bolla”, c’est-à-dire “la déclassification fictive des déchets par la falsification des documents de transport et la certification dite analytique”. Cette manœuvre permet aux personnes concernées d’éliminer frauduleusement ces déchets – en suivant des filières plus ou moins légitimes – ou d’utiliser les déchets comme matières premières secondaires, en passant outre les coûts d’élimination, en les introduisant dans le circuit des produits de base tels que les engrais pour l’agriculture ». (Environmental Crime Network, 27.05.2016, «Report on Environmental Crime», The Hague, p. 17 (www.envicrimenet.eu ).

(23) Chambre des députés et du Sénat de la République italienne, 2018, « Rapport sur les aspects critiques et les phénomènes illicites du trafic transfrontière de déchets : de la Commission d’enquête parlementaire sur les activités illégales liées au cycle des déchets et les infractions environnementales connexes », Doc. XXIII n° 42. p.13.

(24) Ibid. p. 9.

(25) Commission européenne - communiqué de presse du 11 juillet 2013, « Environnement : la Commission prend des mesures contre les transferts illégaux de déchets » Bruxelles (http://ec.europa.eu/environment/waste/shipments/news.htm). (26) Commandement des carabiniers pour la protection de l’environnement, 26 mars 2009, « Techniques d’enquête dans le domaine du trafic illicite de déchets ».

(27) Comando Carabinieri Tutela ambientale, Reparto operativo Sezione operativa centrale Territorio nazionale, Mars 2003, Janvier 2005. « Re Mida Ultimo atto e Carosello, il contrasto alla criminalità ambientale ».

(28) Comando Carabinieri per la tutela dell’ambiente, Reparto operativo, sezione operativa centrale, Gruppo tutela ambiente Treviso, Nucleo operative ecologico di Udine. Gorizia, Juillet 2005- Avril 2006, « Operazione Sacher Compost ».

(29) Nunzio Perrella était un acteur très important au sein de la sphère du trafic illégal de déchets toxiques de la Camorra. « L’opération Adelplhi, du Parquet de Naples, est lancée en 1992, grâce aux déclarations de ce même Nunzio Perrella, repenti (le premier à décrire le système écomafieux en Campanie), avec des dizaines d’arrestations pour corruption et association criminelle de type mafieux, conclues avec un nombre limité de condamnations » (Legambiente, 15-11-2013 « Le rotte della Terra dei Fuochi », Rome. p. 3).

(30) Europol, 2013, «Threat Assessment 2013», p. 9.

(31) Les « déchets d’équipements électriques et électroniques » (pour plus d’informations : « Réseaux et environnement : regards croisés sur les filières de gestion des Déchets d’équipement électriques et électroniques à Toulouse et à Milan », Jean-Baptiste Bahers, Isabella Capurso et Cédric Gossart Dans Flux 2015/1 (N° 99).

(32) Les déchets circulaient avec de faux bordereaux de suivi des déchets certifiant le traitement légal des déchets textiles, avec la procédure de désinfection effectuée et certifiée (Legambiente, janvier 2015, « Maxi-opération entre le Latium et la Campanie : 14 arrestations pour gestion illégale de déchets textiles spéciaux » (www.ecomafia.it ).

(33) Arrêt du Tribunal de Rome du 26 septembre 2017, acquis en tant que Doc. 2370/1 par la Commission d’enquête parlementaire sur les activités illégales liées au cycle des déchets et sur les infractions environnementales connexes (Les enquêtes ont été menées par l’Autorité portuaire de Civitavecchia (note du 21 mars 2016) envoyée à la Commission et acquise sous le numéro 1147/1-2).

(34) Chambre des députés et Sénat de la République italienne, 2018, « Rapport sur les aspects critiques et les phénomènes illicites du trafic transfrontière de déchets de la Commission d’enquête parlementaire sur les activités illégales liées au cycle des déchets et les infractions environnementales connexes », Doc. XXIII n° 42. p.44.

(35) Afin d’avoir un exemple concret d’une liste des moyens de transports des déchets de la Camorra, voir l’Annexe N°1 et Annexe N°2 du département de l’environnement de la Mairie de Massa Carrara, 26 Mars 1990, « Autorisation pour l’introduction de 59 nouveaux moyens de transport » (Document annexe du Rapport de la Commission d’enquête parlementaire sur le cycle des déchets, déclaration déclassifiée de Carmine Schiavone, Mardi 7 octobre 1997. Le document a été censuré par l’État italien en 1997 et déclassifié en 2013).

(36) Article 6 du Décret-loi n° 135 du 14 décembre 2018 « Dispositions urgentes en matière de soutien et de simplification pour les entreprises et l’administration publique » (18G001639 - Journal officiel n° 290 du 14.12.2018).

(37) Commission d’enquête parlementaire sur les causes de la pollution du fleuve Sarno, 19 avril 2005, « Rapport intermédiaire sur les activités réalisées », p. 7.

(38) Manzione (R.),2006, Commission d’enquête parlementaire sur les causes de la pollution du fleuve Sarno, 12 avril, « Document de clôture », p. 28. « Les sources de pollution industrielle, dans ce cas précis, sont principalement attribuables au déversement de déchets non traités des établissements de tannage, de la conserverie, de papier, de l’imprimerie et autres, à commencer par le traitement du marbre et de la céramique ».

(39) Ibid. p. 71.

(40) Sur et autour du Vésuve il y a plusieurs décharges illégales d’une grande dangerosité pour la santé humaine et l’environnement, dont notamment : « Pozzelle » située à Terzigno, « Porcilaia » située à Trecase, « Fungaia » située à Somma Vesuviana, et la décharge « Ammendola Formisano » située dans le Parc National du Vésuve, crée en 1965 (« Atlante italiano dei conflitti ambientali. La Discarica Ammendola Formisano » 9 Février 2018).

(41) Manzione (R.), 2006, Commission d’enquête parlementaire sur les causes de la pollution du fleuve Sarno, 12 avril, « Document de clôture », Chapitre 8, p. 158.

(42) Principe « pollueur-payeur », article 15, directive 2006/12/CE, 5 avril 2006 : « Conformément au principe du “pollueur-payeur”, le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par le détenteur qui remet des déchets à un ramasseur ou à une entreprise visée à l’article 9, et/ou les détenteurs antérieurs ou le producteur du produit générateur de déchets ».

(43) Le recours généralisé à la corruption dans le trafic illégal des déchets a également été souligné par Europol, dans le cadre de son Threat Assessment 2013, p. 17.

(44) L’United Nations Interregional Crime and Justice Research Institute (UNICRI) accorde aujourd’hui une attention particulière à ce qu’on appelle la « corruption verte ».

(45) Banks (D.), Davies (C.), Gosling (J.), Newman (J.), Rice (M.), Wadley (J.), Walravens (F.), 2008, «Environmental Crime. A threat to our future», Environmental Investigation Agency (EIA), p. 3.

(46) Direction nationale antimafia, 2014 (période 01/07/2013 - 30/06/2014), « Rapport annuel », p. 336.

(47) Scialoja (A.), «Legambiente présente le Rapport Eco-Mafia 2018», Service de presse de Legambiente N° 06 86268399 – 353. (https://www.legambiente.it/legambiente-presenta-il-rapporto-ecomafia-2018/).

(48) « Un rôle significatif a été joué par les associations, les comités, les communautés pour une large sensibilisation et une attention constante […] » (Présidence du Sénat de la République italienne, 10 janvier 2018, « Document approuvé par le 12e comité permanent de l’hygiène et de la santé, à la suite d’une enquête sur les effets de pollution de l’environnement sur l’incidence du cancer et des malformations feto-néonatales et épigénétiques », Doc. XVII n°12 p. 141). (49) Notamment les directives 2006/12/CE, 2008/98/CE et 2018/851/CE.

(50) Notamment l’article 15 de la directive 2006/12/CE du 5 avril 2006 concernant le principe du « pollueur-payeur », laquelle établit que le coût de l’élimination des déchets doit être supporté par le détenteur des déchets, les détenteurs antérieurs ou les producteurs du produit générateur de déchet.

(51) Le principe de « responsabilité élargie du producteur », peut prévoir l’obligation pour les fabricants d’accepter les produits renvoyés et de les éliminer après leur utilisation (article 8, directive 2008/98/CE, Parlement européen et Conseil, 19 novembre 2008, « Régime de responsabilité élargie des producteurs »).

(52) Article 7, directive 2006/12/CE, Parlement européen et Conseil, 5 avril 2006, « Les États membres sont tenus d’établir dès que possible un ou plusieurs plans de gestion des déchets ».

(53) Comme annoncé par l’article 17 de la Directive 2008/98/CE, Parlement européen et Conseil, 19 novembre 2008. (54) Notamment dans le cadre du chapitre IV de la directive 2008/98/CE, 19 on retrouve plusieurs articles qui imposent des contraintes administratives spécifiques : la tenue de registres (art. 35), l’enregistrement (art. 26), les inspections (art. 34), la délivrance des autorisations (art. 23).

(55) « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement, et notamment : sans créer de risque pour l’eau, l’air, le sol, la faune ou la flore ; sans provoquer de nuisances sonores ou olfactives ; et sans porter atteinte aux paysages et aux sites présentant un intérêt particulier » (article 13 de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008 concernant la protection de la santé humaine et de l’environnement).

(56) Décret-loi Ronchi, N° 615, 1992.

(57) Le CED est le « catalogue européen des déchets » qui classe les déchets selon leur dangerosité. Il a été réalisé par la Commission européenne en 1993, afin de classer différents types d’ordures. Le but était d’améliorer la gestion des déchets en partant de cette classification.

(58) D’ailleurs la manipulation du CED représente la preuve plus évidente de la violation de l’art. 18 de la directive communautaire du 2008. Article 18 de la directive 2008/98/CE, concernant l’interdiction de mélanger les déchets dangereux : « Les États membres prennent les mesures nécessaires pour veiller à ce que les déchets dangereux ne soient mélangés ni avec d’autres catégories de déchets dangereux, ni avec d’autres déchets, substances ou matières [..] ».

(59) Legambiente et Polieco (Consortium National pour le recyclage des déchets et des produits à base de polyéthylène), 15 décembre 2011, « Global Ecomafia. Radiographie du trafic illégal de déchets : numéros, routes, pays impliqués et propositions », Rome, p. 12-13.

(60) Politiques de crédits, « Green Bond » et autres types d’incitations économiques favorisant le recyclage, la valorisation, mais surtout un traitement légal des déchets à coûts réduits.

(61) « En ce qui concerne l’Europe, la législation de l’UE devrait pousser à l’harmonisation des systèmes pénaux des États membres et ainsi mettre fin aux disparités impressionnantes qui existent dans ce domaine » (Environmental Crime Network, 27 Mai 2016, «Report on Environmental Crime», The Hague, p. 12 (www.envicrimenet.eu).

(62) Chambre des députés et Sénat de la République, 2018, « Rapport sur les aspects critiques et les phénomènes illicites du trafic transfrontière de déchets de la Commission d’enquête parlementaire sur les activités illégales liées au cycle des déchets et les infractions environnementales connexes », Doc. XXIII n° 42, p. 19.

(63) Environmental Crime Network, 27 Mai 2016, «Report on Environmental Crime», The Hague, p. 11 (www.envicrimenet.eu). (64) D’après Europol, « La criminalité environnementale est très lucrative et plus difficile à être détectée – elle peut être aussi rentable que le trafic de drogue – mais les sanctions sont beaucoup moins sévères. Ces facteurs la rendent très attrayante pour les groupes criminels organisés » (www.europol.europa.eu/crime-areas-and-trends/crime-areas/environmental-crime).

(65) Europol et Environmental Crime Network, 20.02.2015. « Intelligence Project on Environmental Crime » The Hague, p. 14. (66) Ibid. p. 17.

(67) Les plans de gestion des déchets sont obligatoires pour tous les États membres en application de la directive-cadre sur les déchets (directive- cadre 2006/12) et de la directive relative aux déchets dangereux (directive 91/689/CEE). (68) Commission européenne, 6 mai 2008, « Italie: la Commission poursuit la procédure concernant la gestion des déchets dans les régions de la Campanie et du Latium », Bruxelles, base de données des communiqués de presse. (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-08-705_fr.htm?locale=FR).

(69) Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (quatrième chambre), 4 mars 2010, (C297/08, EU:C:2010:115), Commission européenne/République italienne.

(70) Ibid.

(71) Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (troisième chambre), 16 juillet 2015, (Affaire C-653/13), Commission européenne/République italienne.

(72) Arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, (cinquième chambre), 21 mars 2019, (Affaire C498/17), Commission européenne/République italienne).

(73) Redazione ANSA (Agenzia Nazionale Stampa Associata), 5 Mars 2019, « Terra fuochi, Corte Ue processa l’Italia », Strasbourg.

(74) Costa (S.), 2019, Terre des feux, la Cour de Strasbourg entame un procès contre le gouvernement italien », Il sole 24 ore, 5 mars.

(75) Commission d’enquête parlementaire sur le cycle des déchets, 7 octobre 1997, « Déclaration déclassifiée de Carmine Schiavone ». Le document a été censuré par l’État italien en 1997 et déclassifié en 2013.

(76) Communes de la province de Caserte et territoires de la « Terre des feux ».

(77) Commission d’enquête parlementaire sur le cycle des déchets, 7 octobre 1997, « Déclaration déclassifiée de Carmine Schiavone », p.12.

(78) Par exemple en développant des réseaux comme l’IMPEL : European Union Network for the Implementation and Enforcement of Environmental Law.

(79) « Des inspections efficaces se traduisent par des économies directes et des avantages économiques pour les États membres et l’industrie, en effet, les coûts d’assainissement et de réimportation sont ainsi évités. Cela éviterait la perte de matières premières précieuses (par exemple, les minéraux précieux tels que le cobalt et l’indium dans les déchets électroniques) afin qu’ils puissent être réutilisés et remis sur le marché ». Commission européenne - communiqués de presse, 11 juillet 2013, « Environnement : la Commission prend des mesures contre les transferts illégaux de déchets », Bruxelles (http://ec.europa.eu/environment/waste/shipments/news.htm).

(80) Commissione parlamentare anti-mafia, Sportello Scuola e Università, Documentazione tematica, Mafie italiane, Camorra. (http://www.camera.it/_bicamerali/leg15/commbicantimafia/documentazionetematica/28/104/schedabase.asp).

(81) Direction nationale antimafia, 2014, (période 01/07/2013 - 30/06/2014), « Rapport annuel 2014 » p.107.

(82) Ibid. p.82.

(83) Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, Mars 2019, « L’implantation de la mafia dans le système agroalimentaire italien ».

« Les clans de la Camorra continuent d’être actifs sur le marché des fruits et légumes frais, arrivant à contrôler le plus grand centre de vente en gros situé à Fondi (LT) et d’acquérir une gestion monopolistique du secteur du transport routier des produits », Fondazione Osservatorio sulla criminalità nell’agricoltura e sul sistema agroalimentare, les syndicats agricoles Coldiretti et Eurispes, « 6e rapport sur la criminalité dans l’agroalimentaire en Italie », p. 8.

(84) Direction nationale antimafia, 2014 (période 01/07/2013 - 30/06/2014), « Rapport annuel 2014 » p. 332.

(85) Direction nationale antimafia, 2014 (période 01/07/2013 - 30/06/2014), « Rapport annuel 2014 » p. 82.

(86) http://www.camera.it/_bicamerali/leg15/commbicantimafia/documentazionetematica/28/104/schedabase.asp

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Lorena Massa En savoir plus

Lorena Massa

Fonction Experte en responsabilité sociale et environnementale