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Fil d'Ariane

Le contrôle des armes à feu au Niger

Le contrôle des armes à feu au Niger
16juil.21

Cet article, issu du n°51 des Cahiers de la Sécurité et de la Justice, a été écrit par André Desmarais, criminaliste, ancien chef de la division balistique du laboratoire de police scientifique de Marseille. Il a rejoint le centre de recherches suisse Small Arms Survey, où il exerce en qualité d’expert associé dans le domaine de l’analyse balistique.

Le Niger, territoire de transit confronté aux trafics d’armes

Le territoire de la République du Niger couvre une superficie d’environ 1,2 million de km2, soit plus de deux fois celle de la France métropolitaine. En revanche sa population n’était estimée en 2018 qu’à hauteur de 22 millions d’habitants, très majoritairement regroupée au sud, dans le bassin du fleuve Niger. Niamey, la capitale, a trouvé refuge dans cette zone cultivable. Le nord désertique et la bande sahélienne qui marque la séparation avec le sud ne sont que très peu peuplés. Le fleuve demeure le principal cours d’eau traversant le sud du pays sur environ 550 km, avant de rejoindre le Nigéria puis de se jeter dans le golfe de Guinée. Environ 5 500 km de frontière séparent le Niger de sept États. En 2019, le Niger se classait au onzième rang des pays les plus pauvres répertoriés par la Banque mondiale en Afrique subsaharienne, avec un RNB/habitant de 600 USD (Banque mondiale).

Les phénomènes suivants contribuent à favoriser les trafics d’armes à feu dans cette partie de l’Afrique :

  • les rébellions qui se sont succédées dans le nord et l’est du pays ;
  • l’éclatement du régime de Kadhafi en 2011 ;
  • l’orpaillage, dans le nord ;
  • la porosité des frontières ;
  • les trafics de stupéfiants et de migrants ;
  • les actions violentes de groupes insurgés.

L’auteur a eu l’opportunité de se rendre à Niamey en 2015 pour offrir une formation dans le domaine de la comparaison balistique, avant de poursuivre des activités de recherche dans le Sahel. Un premier rapport a été réalisé pour le compte de Small Arms Survey en 2018, qui a permis de construire les bases de cette étude (Desmarais, 2018).

Le présent article a nécessité de nouvelles recherches et des entretiens qui se sont déroulés à distance, durant la première quinzaine de février 2021 et se divise en deux parties principales :

  • l’analyse des flux d’armes illicites, en mettant l’accent davantage sur les types d’armes et les routes des trafics que sur les acteurs, ces derniers ayant été particulièrement abordés par d’autres auteurs dans un passé récent (tels que Pellerin, 2017, p. 5-8, Nowak, et al., 2019, p.11) ;
  • les réponses des autorités à ces trafics, avec un focus sur le laboratoire de police technique et scientifique de Niamey.

L’analyse des flux d’armes illicites

Les armes en circulation

Au Niger, la détention d’armes par la population civile est soumise à autorisation. Mais il semble que des autorisations de port d’arme aient été accordées « de façon incontrôlée à certains égards » après 1991 (CNCCAI, 2010, p. 28). Depuis 2011, les autorités nigériennes délivreraient moins de 500 autorisations de port d’arme par an, majoritairement pour des pistolets semi-automatiques de calibre 9 mm Parabellum. En revanche, en 2017, la Commission nationale pour la collecte et le contrôle des armes illicites (CNCCAI) ne répertoriait que 2 000 titulaires d’autorisation de port d’arme (de Tessières, 2018, p. 42). La nouvelle législation qui doit s’appuyer sur les recommandations de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), la Convention de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur les armes légères et de petit calibre et le Traité sur le commerce des armes déjà évoquée lors d’entretiens conduits en 2017, n’a pas encore été promulguée à ce jour. S’agissant particulièrement des armes d’alarme1, leur détention est illicite. Cette situation devrait perdurer dans le cadre de la prochaine législation.

Quel que soit le pays étudié, il est difficile – voire impossible – de connaître le nombre exact d’armes à feu en circulation auxquelles les civils peuvent avoir accès. Il est habituel que les chercheurs se limitent à produire une estimation. Au Niger, le nombre d’armes entre les mains des particuliers a été évalué en 2017 à environ 117 000, auxquelles s’ajoutaient 2 000 armes détenues avec autorisation de port, caractérisant ainsi un taux de présence des armes à feu dans la population d’environ 0,54 % (Karp, 2018).

Le Niger étant bordé de sept États, il paraissait important de comparer ce pourcentage à celui de ses voisins. Si le taux le plus faible appartient au Bénin avec 0,28 %, celui de la Libye atteint 13,27 %, suivi du Nigéria avec 3,21 % puis de l’Algérie avec 2,14 %. Le Burkina Faso, le Mali et le Tchad affichent un taux de présence d’armes à feu d’environ 1 %.

La silhouette d’un axe nord-sud rejoignant Libye, Niger et Nigéria se dessine aisément au travers de ces éléments. D’ailleurs, cette densité d'armes recoupe les statistiques relatives aux nombres de décès par arme à feu :

  • Libye : 15-19,99/100 000 habitants ;
  • Niger : 1-4,9/100 000 habitants ;
  • Nigéria : 5-9,9/100 000 habitants (Florquin et al., 2019, p.27).

Un flux en provenance de Libye.

La révolution libyenne n’était pas terminée que les observateurs rapportaient que « les armes pullulent en Libye. Le colonel Kadhafi en a fait distribuer en grandes quantités aux tribus, et des stocks ont été pillés » (Nougayrède, 2011). Une analyse a livré l’estimation de 230 000 AK 103-2 disséminées sur le territoire Libyen, dès le début de la révolution de 2011 (Jenzen-Johnes, 2016, p. 15).

L’année suivante, Mathieu Pellerin constatait que « près de 90 000 Libyens étaient encore armés en mai 2012, tandis que près de 20 millions d’armes circuleraient dans le pays ». L’auteur précisait que ces armes correspondaient à un large spectre puisqu’il était question de 10 000 systèmes de défense antiaériens Manpads SA-7 et SA-24 auxquels s’ajoutaient des missiles antichars Milan, différents types de lance-roquettes et bien évidemment des fusils d’assaut de type AK 2 (Pellerin, 2012, p. 835-836). Certains de ces équipements ont été retrouvés au Niger deux ans plus tard, tel qu’en témoigne ce chargement de trois tonnes d’armes et munitions intercepté dans le nord du pays, comportant des canons de 23 mm, des roquettes antichars, des mitrailleuses 3, des munitions et enfin, des systèmes sol-air SA-7 (Powelton, 2014).

Aujourd’hui, les armes continuent à transiter depuis la Libye via Tillabéri, à destination finale du Mali et du Nigéria. Leur typologie demeure semblable aux exemples rapportés par Powelton, toutefois, les systèmes de défense antiaériens sont habituellement livrés incomplets. En 2019, une arme de type AK d’origine libyenne s’échangeait pour un montant d’environ 530 euros, dans la région d’Agadez au centre du pays (Yser, 2019).

Au Niger, si l’Etat ne reconnaît pas aux civils le droit d’acheter une arme d’alarme, il convient de préciser qu’il n’a pas été rapporté localement l’existence d’ateliers de modification, de conversion ou de transformation d’armes d’alarme en armes létales 4. Au nord du pays, dans des zones proches de l’Algérie et de la Libye, une ruée vers l’or s’est déclarée dès le printemps 2012. Ici, l’insécurité récurrente observée dans les zones frontalières liée aux trafics qui y ont cours est décuplée par la présence du métal précieux, motivant un vif intérêt pour les armes à feu. « Les plus populaires sont les pistolets (essentiellement les pistolets fabriqués en Turquie et localement baptisés « turkiya ») » ainsi que les armes de type AK. « Comme en Libye, ces turkiya sont pour la plupart des armes à blanc modifiées. » Ils s’échangeaient en 2017 pour les sommes d’environ 140 ou 350 euros, selon que l’acheteur était nigérien ou étranger (Pellerin, 2017, p.5-8).

Cette prolifération des armes d’alarme sur le sol libyen semblait encore récemment d’actualité, les douanes de Misrata ayant intercepté en janvier 2019 un lot de plus de 20 000 pistolets de fabrication turque Ekol P29, violant ainsi la résolution UNSCR 1970 (Alwasat, 2019). Depuis 2020, la présence des armes d’alarme, modifiées ou demeurées en l’état d’origine, est moins prégnant au Niger que durant la période 2016-2018.

 

Un flux en provenance du Burkina Faso et du Nigéria.

Dans l’ouest et le sud du pays, les armes proviennent davantage du Burkina Faso et, dans une moindre mesure, du Nigeria. Cette situation a été quelque peu bouleversée lors de l’afflux colossal des armes libyennes mais la prévalence des armes introduites depuis le Burkina est de nouveau manifeste depuis les années 2018-2019.

Un scénario commun est celui de citoyens nigériens se rendant au Burkina et achetant une arme sur place. De retour au pays, certains d’entre eux sollicitent une demande d’importation et de détention auprès des autorités nigériennes. Majoritairement, il s’agit d’armes de poing fabriquées en Turquie, telles que le modèle Fatih 13 de calibre 7,65 mm Browning, produit par Tisas. 5

Pourtant, au Burkina Faso les principes de l’achat, du port d’arme et du transfert sont soumis à autorisation (Burkina Faso, 2009). Les sept armureries situées dans la capitale, Ouagadougou, dont les coordonnées sont aisément accessibles sur internet témoignent d’une activité florissante. L’une d’entre-elles précise qu’elle commercialise « des fusils artisanaux de Calibre 12 », des « […] carabines et fusils de chasse de tous calibres […] des munitions de calibre 12, 16, 20 […] des cartouches métalliques pour carabines de la 22 LR au 460 Weatherby (et) des pistolets et des revolvers du calibre 22 LR au 44 magnum ». En comparaison, aucune armurerie n’est signalée à Niamey.

Il est également rapporté l’existence d’un axe de pénétration depuis le Nigéria (Nowak, et al., 2019, p.7), correspondant à des fusils d’assaut de type AK. Enfin, à l’exemple de pratiques déjà observées dans ce pays, il a été rapporté qu’à Maradi, dans le sud du Niger mais à quelques kilomètres seulement de la frontière nigero-nigeriane, prolifèrent des fusils de forgeron (autrement appelées armes traditionnelles) produits localement et destinés à des groupes d’autodéfense.

 

Trafics de munitions pour armes légères et de petits calibres.

La question des cartouches mérite également qu’on s’y attarde. Sans munitions, pas de violence. Les armes à feu redeviennent ce qu’elles étaient initialement : un assemblage de métal, de bois et de plastique. C’est la raison pour laquelle des centres d’analyse tels que l’Institut des Nations unies pour la recherche sur le désarmement (UNIDIR) ou le Small Arms Survey font porter leur intérêt sur les munitions. D’ailleurs, la problématique a été très récemment résumée dans ces termes : « Réduire les flux de munitions prive les armes à feu d’oxygène » (UNIDIR, 2020, p. 1).

Il est établi que « plus de 80 % du commerce de munitions » échappe à tout suivi (ONU, Bureau des affaires du désarmement). Pourtant, il convient de préciser que le Niger a officiellement rapporté pour la période 2009-2016 une importation de 1,9 million de dollars de munitions provenant de Chine (Florquin et al., 2020, p.56) 6.

D’une façon générale, l’identification des cartouches pour armes à feu s’appuie sur la lecture du marquage porté au culot, et dans certains cas sur le corps de l’étui. De nombreuses sources documentaires facilitent la détermination de l’origine d’une cartouche. L’enregistrement et l’analyse de ces éléments permettent de réaliser le profilage de ces munitions, c’est-à-dire la recherche de dénominateurs communs entre munitions semblables. L’intérêt de ces macroanalyses permet, d’une part, de dégager des tendances locales et régionales, d'autre part, ponctuellement, de lier des affaires criminelles dans le cas d’utilisation de cartouches aux marquages singuliers. Le traçage, en revanche, s’appuie sur le déchiffrage de codes spécifiques pouvant favoriser l’identification précise de la source de la munition.

Interrogés dans le cadre de cet article, deux chercheurs ont spontanément fourni un classement des munitions utilisées au Niger par les criminels. Selon ces derniers, le premier pays de production est la Chine, suivi de la Russie 7. En revanche si l’un de ces chercheurs déclare que la 3e place revient à la France, l’autre indique la Turquie. Une autre source de production est attribuée à l’Iran, tels que l'attestent des travaux de 2012, relatifs à des munitions de calibre 7,62×54R 8 retrouvées à l’issue de combats menés entre des contingents nigériens et des insurgés affiliés à Al Qaeda-Maghreb islamique forces militaires. Ce rapport (CAR, 2012, p. 17 et 19) indiquait également que, toujours pour l’année 2012, des cartouches de calibre 7,62x39 9 également de production iranienne mais supposées provenir du Burkina Faso avaient été découvertes au Niger.

Il a aussi été documenté dans un passé récent, la présence de munitions en 7,62×39 sur des scènes d’attentat maliennes. Ces cartouches, de fabrication chinoise, provenaient de pillages de stocks étatiques nigériens.

Les réponses des autorités

Saisies, destruction des armes en surplus, marquage

Instaurée dès 1994, la Commission nationale pour la collecte et le contrôle des armes illicites (CNCCAI) s’est vu préciser ses missions dans le cadre du décret du 8 octobre 1999 (République du Niger, 1999, art. 2) dans les termes suivants :

  • elle identifie des stratégies efficaces de lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères et aide les autorités gouvernementales dans l’élaboration de la politique nationale dans ce domaine ;
  • elle émet des avis et fait des suggestions pour mener et favoriser toutes actions concourant à la lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères ;
  • elle mène, en collaboration avec les départements techniques concernés, toutes études, réflexions et actions qui concourent à la lutte contre la prolifération et la circulation illicite des armes légères ;
  • elle coordonne et soutient les actions des différents services de l’Etat impliqués dans la lutte contre le trafic et la prolifération des armes légères.

Des missions supplémentaires ont été ajoutées dans le décret du 3 décembre 2014, parmi lesquelles le marquage des armes illicites mérite d’être souligné (République du Niger, 2014, art. 2).

Luttant contre la multiplication des armes à feu, les autorités du Niger ont initié plusieurs campagnes de destruction. Le 25 septembre 2000, à Agadez, une Flamme de la Paix réduisait ainsi 1 243 armes par le feu (CNCCAI, 2008, p.19), avant que les opérations ne se poursuivent, à une échelle plus modeste. Ainsi, ce sont 503 armes qui ont été détruites entre 2001 et 2004 (CNCCAI, 2008, 6.4) mais suivies de 9 967 durant les années 2016-2017 (CNCCAI, n.d., 9.4.1). Par ailleurs, il est rapporté que l’État nigérien a saisi 213 armes à feu en 2012 (UNODC, 2020, p. 109).

Ces dernières années, la CNCCAI a été soutenue dans cet effort par plusieurs acteurs extérieurs.

courant 2014, agissant dans le cadre de la mise en œuvre de l’instrument international de traçage adopté en 2005 par l’Assemblée générale des Nations unies, l’ONUDC et ses partenaires ont fait don au Niger de trois machines de marquage des armes (ONUDC, n.d.) ;

depuis 2015, le gouvernement américain, par l’intermédiaire de l’organisation non gouvernementale (ONG) Humanity and Inclusion, a participé à la destruction de plus 5 000 armes ainsi que de 15 tonnes de munitions (Tirre, 2019) ;

  • en 2018, collecte et destruction de près de 640 armes à feu, auxquelles se sont ajoutées une trentaine d’armes remises par la population d’Agadez (ONUDC, 2018) ;
  • enfin, la CNCCAI s’est vue épaulée par l’ONG Mines Advisory Group par la fourniture de systèmes de rangement sécurisés (MAG).

Un bon moyen de se faire une idée des armes fréquemment découvertes au Niger consiste à se pencher sur les statistiques de la gendarmerie nigérienne. Bien que non exhaustives elles permettent de disposer d’un premier aperçu des armes illicites en circulation. Entre janvier 2014 et octobre 2016, 462 armes à feu ont été saisies, dont plus de la moitié correspondait à des fusils de type AK et un quart environ à des armes de poing, dont un grand nombre de pistolets d’alarme convertis (de Tessières, 2018, p. 43).

Au laboratoire de police technique et scientifique, la tendance est inversée, le premier type d’arme analysé correspondant à des pistolets semi-automatiques, habituellement du modèle Tokarev TT33 ou assimilé, suivi par les armes de type AK. Ces armes sont principalement de production chinoise et turque. À titre de comparaison, durant l’année 2017 la proportion était différente puisque la part des armes de type AK et des pistolets semi-automatiques était plus faible que celle des pistolets d'alarme.

D’ailleurs, l’ensemble des munitions destinées aux pistolets d’alarme avaient été modifiées et comportaient un projectile métallique (Desmarais, 2018, p. 10).

Le laboratoire de police scientifique de Niamey

Situé dans le centre de la ville, le laboratoire de police scientifique de Niamey (LPTS) bénéficie d’un soutien de l’Union européenne par l’intermédiaire de sa structure Eucap Sahel Niger, depuis le lancement de ses activités en 2012. Les objectifs pour 2021 visent au renforcement capacitaire, en agissant sur ces trois axes principaux que sont le maillage territorial, le soutien des ressources humaines par le biais de la formation et la dotation en matériels. Ces efforts ne sont pas réservés au LPTS mais vont être partagés entre les trois forces d’application de la loi : police, gendarmerie et garde nationale.

Le personnel du LPTS est spécialisé dans les thématiques de la balistique, des incendies, de l’analyse des faux documents, de la révélation et de la comparaison des traces papillaires, de l’expertise en informatique légale, de la biologie et, enfin, de l’analyse en matière de toxicologie et de stupéfiants. Les bases de données du fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et du Système d’information policière d’Afrique de l’Ouest (SIPAO)10 sont également gérées par cette division. Le soutien est également apporté par une petite équipe chargée de la formation continue. Au final, 35 fonctionnaires contribuent aux activités du LPTS.

S’agissant de la balistique, l’unité est composée de quatre membres, indéniablement attachés à leur fonction puisque leur ancienneté moyenne est de cinq ans. Le chef d’unité est un scientifique accompli, diplômé d’un master 1 en physique. Lui-même est affecté à la section balistique depuis 2013. L’activité quotidienne de l’unité balistique consiste à recevoir et à examiner des armes et des éléments de munitions saisis sur les scènes de crime ou en possession de criminels, de toutes les régions du Niger. D’ailleurs, même si le LPTS est l’unique service chargé des analyses balistiques au plan national, il est manifeste que ce n’est qu’une partie des armes saisies au Niger qui y sont analysées. Les éléments placés sous scellé et étudiés au LPTS correspondent autant à des éléments découverts dans le cadre de crimes que de délits. En ce qui concerne les armes interceptées dans les trafics transfrontaliers, elles sont adressées au LPTS sous réserve que l’enquête demeure entre les mains de la direction de la police judiciaire ou du Service central de lutte contre le terrorisme et la criminalité transfrontalière organisée.

Lorsque l’actualité criminelle le réclame, les équipes du LPTS se rendent sur les lieux, en tout point du Niger, pour y procéder aux constatations techniques.

L’unité balistique dispose d’un équipement de premier plan, dont un macrocomparateur UCM Projectina, livré en 2014, couplé à une base de traitement numérique PIA7000. Pour la restauration des numéros matricules effacés, les techniques chimiques conventionnelles tendent à laisser progressivement la place à un système électromagnétique. Le parc informatique est raccordé à l’internet à haut débit. Les bidons remplis d’eau utilisés pour arrêter les balles de comparaison ont laissé la place à un caisson garni de feuilles de plastique.

A l’égard de la politique d’assurance qualité du LPTS, les procédures opérationnelles sont cours de rédaction et permettront à terme de conduire le service en phase d’accréditation, conformément à la norme ISO/IEC 17025:2017. Bien que le laboratoire ne dispose pas encore d’un système de recherche balistique automatisé, l’unité balistique a défini un protocole encadrant la collection des douilles retrouvées sur les scènes de crime rattachées à des affaires non résolues, laquelle livre ponctuellement la possibilité de rapprochements entre des affaires. En parallèle, toutes les munitions saisies dont est informé le LPTS sont enregistrées dans un fichier, offrant ainsi aux autorités nigériennes les éléments favorisant le profilage des munitions.

En définitive, les travaux de l’unité balistique sont appréciés et reconnus à l’intérieur des frontières du pays (Desmarais, 2018, p. 10) et au-delà. En effet, dans les cas d’attaques visant des ressortissants étrangers, il est fréquent que des représentants de ces États viennent procéder dans les locaux du LPTS à une contre-expertise. Encore récemment, à la suite d’un attentat majeur, les conclusions de l’équipe dépêchée sur les lieux ont confirmé les résultats de la première expertise.

Conclusion

Quelles perspectives ?

Le 25 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Résolution 70/1 en vue de parvenir à un développement durable à l’horizon 2030. L’objectif 16 « Paix, justice et institutions efficaces » comprend notamment la cible 16.4 qui vise à « réduire nettement […] le trafic d’armes […] et lutter contre toutes les formes de criminalité organisée » (AGNU, 2015).

Il est indéniable que les autorités du Niger s’attachent à l’application d’une politique efficace en matière de lutte contre les trafics d’armes et de munitions, en dépit d’un contexte géopolitique tourmenté et d'une porosité des frontières. D’ailleurs, la cheffe de la délégation de l’Union européenne au Niger reconnaissait récemment que le « Niger est un partenaire exemplaire pour l’Union européenne » (Nkoussa, 2019). Dans le cadre du 11e fonds européen du développement (2014-2020), la part du budget européen consacré à la sécurité, la gouvernance et la consolidation de la paix se montait à 100 millions d’euros (UE, 2016). Ce partenariat est prorogé, le mandat de la Mission civile de l’Union européenne au Niger (EUCAP Sahel Niger) ayant été prolongé jusqu’au 30 septembre 2022 (Powelton, 2020). C’est dans ce contexte qu’Eucap Sahel Niger a doté l’an dernier le LPTS d’un spectromètre infrarouge, couplé à une bibliothèque de référence dédiée à l’analyse des prélèvements effectués dans des contextes de trafics de drogues, d’explosions et d’incendies, ce qui fait du Niger le seul pays du G5 à être doté d’un tel équipement.

Pour autant, des équipements et des formations seraient encore nécessaires dans ces domaines de la balistique judiciaire, pour pérenniser les savoirs autant que pour étendre le champ des analyses :

  • microscopie à balayage dédiée à l’analyse des résidus de tir 11 ;
  • base de données balistique automatisée 12 ;
  • analyse des trajectoires et balistique lésionnelle ;
  • gestion d’une collection d’armes et de cartouches de référence.

Enfin, le projet Security Assessment in North Africa (SANA) du Small Arms Survey a initié une recherche sur le thème de la prévention de l’extrémisme violent dans le sud de la Libye et dans les territoires limitrophes, qui sera publiée en 2021. À n’en pas douter elle livrera des réponses supplémentaires quant à cette problématique du contrôle des armes au Niger.

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DE TESSIÈRES (S.), 2018, « At the Crossroads of Sahelian Conflicts. Insecurity, Terrorism, and Arms Trafficking in Niger”, Rapport, Genève, Small Arms Survey. TIRRE (M.), 2019, « Comment la destruction des surplus d’armes au Niger affaiblit les terroristes au Sahel et au Sahara », USA en français, 15 octobre [https://usaenfrancais.medium.com/commentla-destruction-des-surplus-darmes-au-niger-affaiblit-lesterroristes-au-sahel-et-au-sahara-a5bd9c740e99]. Union européenne, 2016, Communiqué de presse,15 décembre [https://ec.europa.eu/commission/ presscorner/detail/fr/IP_16_4371]

UNIDIR, 2020, Handbook, «Profiling small arms ammunition in armed violence settings». YSER (I.), 2019, « Agadez, Niger. Drogues, armes et migrants, trafics en tous genres », Orient XXI, 4 juin [https://orientxxi.info/magazine/agadez-niger-drogues-armes-etmigrants-trafics-en-tous-genres,3117].

Notes

(1) Les armes d’alarme (ou armes à blanc) ne sont pas en mesure de tirer des projectiles solides (Florquin et King, 2018, p. 21)

(2) Dans la suite de cet article, le terme « AK » désigne l’ensemble des armes s’apparentant au fusil d’assaut crée par Mikhaïl Kalachnikov.

(3) Dont des modèles MG1.

(4) Précisions qu’une définition des différents types d’armes converties figure aux pages 16 et 17 du rapport « Quand le légal devient létal » (Florquin et King, 2018).

(5) Un pistolet Fatih 13 saisi au Burkina Faso est représenté dans Nowak et al., 2019, novembre, « The West-Africa-Sahel Connection. Mapping Cross-border Arms Trafficking ».

(6) Pourtant, la presse rapporte également des cas récents de corruption impliquant des entrepreneurs nigériens : Anderson M., K. Sharife et N. Prevost, 2020, « How a Notorious Arms Dealer Hijacked Niger’s Budget and Bought Weapons From Russia », Organized Crime and Corruption Reporting Project, 6 août [https://www.occrp.org/en/investigations/notorious-arms-dealer-hijacked-nigers-budget-and-bought-arms-from-russia].

(7) L’usage veut de fusionner Russie et ex-URSS.

(8) Munition convenant principalement à des mitrailleuses – telles que la Type 80 chinois ou la PK russe – mais aussi à des fusils de tir de précision (SVD Dragunov) sans oublier les fusils de type Mosin-Nagant. Ces derniers sont peu présents en Afrique.

(9) Munition convenant principalement à des fusils d’assaut de type AK, à des carabines semi-automatiques SKS et à des mitrailleuses légères RPK.

(10) Mis en œuvre par INTERPOL et financé par l’Union européenne, ce système vise à accroître l’échange d’informations et la coordination entre les services chargés de l’application de la loi de la région.

(11) Des résidus de tir solides provenant de l’amorce et de la charge propulsive se déposent sur la main du tireur ou dans son environnement immédiat, voire sur la cible, lorsque la distance du tir est courte (Galluser, 2014, p. 325).

(12) Une base de données balistique automatisée « peut être défini(e) comme un outil, basé normalement sur les capacités d’un ordinateur, permettant de comparer de manière plus ou moins autonome les informations relatives aux traces présentes sur les projectiles ou sur les douilles » (Galluser, 2014, p.310).

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André Desmarais En savoir plus

André Desmarais

Fonction Criminaliste
Discipline Criminologie