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La sécurité nationale : un concept à enraciner

Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.

La sécurité nationale : un concept à enraciner
21juin.19

Article issu des Cahiers de la sécurité et de la justice n°45 sur le concept de sécurité nationale dans les champs de la sécurité et de la justice, écrit par Gérard Pardini, docteur en droit administratif et constitutionnel, directeur adjoint de l'INHESJ de 2011 à 2015.

Le terme de « sécurité nationale », comme il est rappelé dans l'article de ce numéro qui rappelle la contribution de l'INHESJ au livre blanc de 2012 est encore récent et à un stade où il est nécessaire de la conforter. Vingt ans sont insuffisants, dans un pays prospère et éloigné de menaces de guerre sur son sol, à ancrer une doctrine de sécurité partagée par une majorité de citoyens et incluse systématiquement dans les politiques publiques, toutes les politiques publiques. C'est bien parce que les menaces sont multiformes qu'il faut que les citoyens partagent et acceptent les principales lignes de force d'un système de sécurité intégré. La littérature traitant de sécurité nationale est abondante. Le lecteur qui souhaiterait aller plus avant dans le décryptage du concept peut utilement se référer à trois contributions francophones1. La quasi-totalité des travaux montre les difficultés de l'articulation du concept avec la réalité et alerte sur les dérives sécuritaires que peut entraîner la subordination des politiques publiques à une sécurité nationale pensée avant tout pour protéger l'État. C'est dans cette dimension qu'un tel concept peut être mal assimilé voire dévoyé. La sécurité ne peut être une fin en soi. Elle ne peut être acceptée et efficace que si elle incarne elle-même les valeurs qu'elle doit défendre.

La sécurité et les valeurs

L'une des responsabilités fondamentales des dirigeants est d'assurer la sécurité. Cette dernière ne peut être une incantation et doit être une effectivité. Il existe une partie visible qui est représentée par les forces de défense et de sécurité mais cette partie, si elle est indispensable, ne suffit plus à garantir la prospérité et le fait que les générations futures continueront de profiter des qualités pour lesquelles notre pays constitue un lieu de référence dans un environnement mondial troublé.

La stabilité d'un pays démocratique passe par deux engagements. Le premier est un engagement en matière de sécurité et le second un engagement envers les valeurs républicaines de primauté du droit, de tolérance, d'ouverture au monde et de rejet de la violence. Ces deux engagements ne peuvent entrer en conflit sous peine de déstabiliser les liens qui se sont constitués au fil des siècles entre chaque citoyen et la nation. Justifier un repli au prétexte que l'ouverture au monde (ou la mondialisation, peu importe les termes) crée de l'insécurité et est mortifère. Il est vain d'imaginer qu'un renforcement des frontières apportera un espoir de meilleure sécurité à l'heure des réseaux en tout genre. Tout au plus peut-on imaginer réguler ces réseaux, mais qui peut croire que créer des obstacles physiques empêchera le voisin de savoir ce qui se passe à côté de chez lui.

Les menaces ne se limitent pas à la guerre et au terrorisme

Les épidémies comme celle du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) ont démontré la faculté de transmission involontaire des menaces à l'échelle planétaire, à la vitesse des voyages aériens. Que dire dans un même registre des conséquences d'une catastrophe nucléaire civile ou d'un cataclysme provoqué par les éléments naturels ?

La survenance d'une catastrophe majeure, fruit d'un aléa ou d'une négligence, aura des conséquences très rapides sur la sécurité et la défense si une majorité de citoyens n'adhère pas à une définition réaliste du concept de sécurité nationale. Le risque est donc grand, dans la période que nous traversons, d'être confrontés à la dictature de la multitude qui nous ramènerait inéluctablement dans le passé, car celle-ci justifiera des formes de maintien de l'ordre, voire des guerres qui seront désastreuses pour les démocraties. Ce constat veut d'abord dire que si les menaces auxquelles nous sommes exposées évoluent, les intérêts fondamentaux en matière de sécurité sont quant à eux constants.

Le cœur du débat est dans la bonne appréhension des intérêts fondamentaux en matière de sécurité nationale qui inclut une approche réaliste de la souveraineté.

La protection de la sécurité physique des citoyens, de leurs valeurs fondamentales et des institutions qui en sont les garantes constitue un sujet particulièrement complexe à appréhender et à traiter, car il touche aux menaces contre la souveraineté. Or, la souveraineté est aujourd'hui un concept en apesanteur. La souveraineté est d'ailleurs au cœur du débat européen2.

La difficulté réside dans le fait que de plus en plus de personnes veulent faire évoluer le concept de souveraineté en celui de puissance. L'idée est séduisante, surtout dans un contexte de crise tel que nous le traversons, mais se heurte à des réalités qui battent en brèche la démonstration. La première de ces réalités réside dans le fait qu'il n'existe pas de souveraineté européenne et la seconde dans le fait que de nombreux pays, et non des moindres, continuent à fonder leur pacte national sur la souveraineté. Les journaux sont remplis de tribunes parlant de défendre la « souveraineté économique » mais, selon les auteurs, on parle de souveraineté à l'échelle des États ou de souveraineté européenne.

Tout cela montre la confusion qui règne sur le concept de souveraineté, confusion qui n'est pas étrangère à la crise politique. Continuer à employer des mots et à manier des concepts qui ne sont plus en adéquation avec la réalité est dangereux, car les citoyens ressentent bien le décalage entre les mots et les faits et perdent confiance à la fois dans l'État-nation traditionnel et dans l'Europe. La pire chose serait de faire croire qu'une souveraineté européenne peut coexister avec des souverainetés nationales. L'Europe est présentée comme un levier qui restaurera la puissance des États qui la composent, mais il est demandé à ces États de transférer une part de leur souveraineté. Cela s'apparente plus à une profession de foi qu'à un concept fondateur partagé par une majorité.

La souveraineté, comme le rappelle le dictionnaire de philosophie politique, est au fondement de l'État3. Elle exprime l'idée d'un pouvoir de commander que détient l'État (ou un pouvoir de puissance)… C'est la qualité d'un pouvoir suprême à l'intérieur d'un périmètre donné qui ne peut connaître d'égaux qu'à l'extérieur de ce périmètre.

Cela correspond à la définition donnée par Jean Bodin dans ses Six livres de la République4 publiés en 1576. La définition n'a pas vieilli, car c'est la définition d'un concept. Elle peut donc s'appliquer à un État mais aussi à une entité comme l'Europe à la condition que cette entité exerce un pouvoir suprême reconnu. La souveraineté s'accommode du débat entre des thèses libérales et des thèses absolutistes. Pour les premières, la souveraineté (ou la puissance) est limitée par l'application des droits fondamentaux de l'homme que l'État doit garantir par une organisation appropriée. Pour les secondes, la souveraineté peut être limitée par l'existence de droits de l'homme, mais ces droits sont alors des « tolérances étatiques » que l'État peut limiter ou révoquer à tout moment pour se défendre. Nous sommes là dans le débat sur l'État de droit mais celui-ci ne remet pas en cause la notion intrinsèque de souveraineté.

C'est pour cela que la plupart des réflexions actuelles sur la souveraineté se révèlent pernicieuses en ce qu'elles nient sa caractéristique intrinsèque de pouvoir suprême. Les travaux de la conférence de 2016 citée supra tentent de démontrer que « la souveraineté est une question de degrés, une notion asymétrique qui dépend de la sphère de pouvoir dans laquelle elle s'exerce… C'est d'autant plus vrai au XXIe siècle que la mondialisation entraîne une interdépendance croissante entre les États sur différents plans, et dans un nombre croissant de sphères de pouvoir. C'est à ce niveau que le lien est à faire entre les questions de souveraineté et de défense. Par exemple, bien que la défense soit présentée comme premier attribut de la souveraineté des États, il faut reconnaître que la protection du territoire national dépend de plus en plus de la coopération et non de la souveraineté entendue comme l'affaire exclusive d'un État. Il en va de même sur les questions économiques, où l'autorité des États en proie aux crises et aux coupes budgétaires semble clairement érodée. Certes, certains États semblent mieux préserver leur autorité que d'autres selon les domaines. La souveraineté est quelque part aussi une question de capacité qui varie selon la richesse, la taille ou la situation géographique. Mais les États ne peuvent, individuellement, garder intacte une souveraineté unique somme toute chimérique. Au XXIe siècle, il n'existe pas de souveraineté nationale totale face à des problèmes globaux tels que le terrorisme ou le réchauffement climatique. De nos jours, la souveraineté pose la question de la subsidiarité, puisque le niveau d'action publique national perd bien souvent sa pertinence ».

Il est donc indispensable, si l'on veut continuer à parler de souveraineté, d'en conserver la définition plutôt que de l'édulcorer. C'est le sens du discours du président de la République, à la Pnyx d'Athènes le jeudi 7 septembre 2017, qui n'a pas cherché à travestir le concept de souveraineté. « Ne pas être souverain, c'est décider que d'autres choisiront pour nous. » La définition de la souveraineté européenne qu'il a exposée est bien celle d'un pouvoir non partagé dans son champ, lequel champ a été préalablement défini : « Face à tous ces risques, je crois, avec vous, dans une souveraineté européenne qui nous permettra de nous défendre et d'exister, de nous défendre en y apportant nos règles, nos préférences. Qui protégera le respect de vos vies, les données de vos entreprises dans ce monde numérique ? L'Europe, et nul autre espace. Qui nous protégera, face au changement climatique ? Une Europe qui veut une autre forme de production de l'énergie, une Europe qui nous protégera de la dépendance à l'égard de puissances autoritaires qui nous tiennent parfois dans leurs mains. C'est cela, cette souveraineté dans laquelle nous devons croire, avec laquelle nous devons renouer, parce que nous avons nos propres préférences européennes, et nous ne devons jamais l'oublier ».

Si l'on veut donner du sens au concept de sécurité nationale et emporter l'adhésion des citoyens, il faut affirmer et faire partager des concepts cohérents et refuser de parler de mutation de la notion de puissance ou de souveraineté. La puissance est la puissance, la souveraineté est souveraineté. Le seul débat concerne le périmètre d'application des deux concepts. Il nous revient en effet de choisir si nous souhaitons un repli de la souveraineté sur l'État-nation ou au contraire son extension sur une entité européenne dont les frontières restent à définir. Ce vaste chantier ne peut être accepté qu'au prix de la clarté des concepts et des démonstrations.

Un système de sécurité nationale en phase avec les risques

Il est essentiel que les principaux outils en matière de sécurité fonctionnent d'une façon totalement intégrée pour protéger les intérêts des citoyens. Si tout le monde en est convaincu, il n'existe pas vraiment de mesure fiable du degré d'intégration nécessaire. Les structures existent et leur fonctionnement s'affiche comme prenant en compte l'ensemble des partenaires clés de la sécurité nationale que sont les territoires, le secteur privé et les citoyens. Alors, comment mesurer un tel degré ? Cela est d'autant plus difficile que les indicateurs à prendre en compte doivent être évolutifs pour coller au mieux aux mutations des menaces contre la sécurité nationale.

Il est possible, par exemple, d'imaginer une cotation des plans de continuité à la condition de disposer de données provenant d'essais en situation réelle des systèmes de sécurité. Tout comme il est possible d'identifier des activités ou des missions associées aux systèmes de sécurité qu'ils soient étatiques ou privés. Les audits peuvent ainsi porter sur au moins sept grandes familles :

  • la gestion des programmes d'atténuation des risques ;
  • la protection des infrastructures essentielles ;
  • la cybersécurité ;
  • le partage de l'information entre les ministères ;
  • les coopérations avec le secteur privé concernant notamment le partage et la protection de l'information sensible ;
  • les mécanismes d'aides financières en vue de les adapter à une capacité de réaction rapide pour rétablir rapidement une situation avec notamment la mise en place de dispositifs de budgétisation ante catastrophe ;
  • la création d'un système commun à tous les programmes d'urgence et concernant bien entendu l'État, les territoires et le secteur privé.

Pour qu'un tel système de sécurité nationale soit effectif, condition indispensable pour son acceptation, il faut travailler sur les freins à son déploiement. Ils sont bien connus et relèvent des biais cognitifs. Un rapport de l'OCDE abordant cette question paru en 2014 n'a pas pris une ride5 5. Il décrit très précisément le cadre idéal de gouvernance de ce système et les risques existants. Cela passe par une reconquête des opinions publiques et un meilleur partage des mesures de répartition des charges de sécurité entre les États et les autres partenaires. On voit bien qu'un tel cadre ne peut exister sans une réforme de fond des structures et de la fiscalité.

Malgré la perception des dangers et l'expérience tirée des événements passés, la passivité des différents acteurs est encore forte. La résistance au changement est, avant tout, un principe économique mettant en jeu des mécanismes d'arbitrages.

Les individus sous-investissent dans leur sécurité, car ils peuvent penser que les pouvoirs publics se substitueront à eux. Ce sentiment sera d'autant plus fort que la pression fiscale est élevée. Le secteur privé va mettre en balance des coûts immédiats et des bénéfices futurs dont le niveau est incertain. Une collectivité territoriale arbitrera son niveau d'investissement en fonction de sa capacité contributive, mais aussi en fonction de la capacité qu'auront d'autres collectivités à participer au financement du dispositif de réduction des risques. L'État central peut, de son côté, hésiter à générer des dépenses publiques de résilience peu visibles donc potentiellement peu comprises dans une période où la ressource publique est fortement sollicitée sur de multiples sujets. Je ne parle même pas des préoccupations électorales, le plus souvent elles sont niées, car contraires à l'intérêt général, mais elles sont pourtant bien réelles et d'autant plus complexes à traiter qu'elles sont des facteurs comportementaux tant pour les citoyens que pour les collectivités.

Autre point de difficulté, la confiance des citoyens dans les pouvoirs publics. Force est de constater qu'elle s'est passablement érodée. La mise en œuvre d'une démarche intégrée de sécurité nationale peut constituer le pivot du rétablissement de cette confiance à la condition de la justifier à l'euro près et de travailler sur un périmètre de l'État qui soit en adéquation avec la situation.

Au final, traiter la question de la sécurité nationale est indissociable du traitement sans tabou du rôle de l'État. Cet article n'ayant pas pour ambition de définir une nouvelle théorie de l'État, nous avons pris le parti d'une définition convenant aux différents courants de pensée politique. Ne nous contentons pas de la formule, déclinée ad nauseam, du « vivre ensemble ». Certes, l'État en est garant, mais c'est avant tout une organisation qui va imposer la paix, garantir la liberté et la propriété, créer les conditions de réaliser la volonté générale, améliorer l'organisation sociale et compenser l'incapacité des intérêts particuliers à coopérer spontanément en produisant les « biens publics » que sont la défense, l'enseignement ou la redistribution sociale…

On retrouve ainsi, dans l'ordre, les concepts exposés par Hobbes, Locke, Rousseau, Bentham, mais aussi Marx pour qui l'État est également un instrument dont la bienveillance est sélective.

Cependant, l'État est bien plus que l'agrégat de tous ces objectifs car il renvoie au concept abstrait de souveraineté. Nous avons tenté plus haut de montrer la nécessité de traiter avec clarté l'appréhension des intérêts fondamentaux en matière de sécurité nationale avec une approche réaliste de la souveraineté.

Il convient de faire de même avec l'État car ce dernier est à la fois l'objet juridique qui va dire le droit et juger lui-même si celui-ci est respecté, et le principe qui organise la société à laquelle il commande et qui se confond aujourd'hui avec la nation dans la plupart des pays du monde. C'est de cette synthèse qu'il tire la légitimité de son commandement et son acceptation par les citoyens.

La difficulté vient du fait que la nation n'est pas une réalité mais une idée-force dont le mérite a été de susciter l'adhésion. Elle se révèle et montre sa pertinence par les sentiments qu'elle suscite. C'est pour la nation que les citoyens vont se battre quand la représentation que chacun s'en fait coïncide avec un idéal accepté.

La nation est forte quand les individus éprouvent un sentiment collectif et une vision convergente. Elle peut alors vivre et s'épanouir. Pour autant, cet épanouissement a besoin de la croyance et des mythes pour prospérer.

C'est la force de ce sentiment collectif qui va procurer la cohésion sociale mais aussi spirituelle, conduire à transcender les intérêts individuels par le rendu d'arbitrages acceptés et permettre que la coercition soit non seulement acceptée mais attendue, afin de gommer les aspérités sociales dues aux rivalités inhérentes à toute société. Il faut en effet que le pouvoir soit sacré par l'idée de nation pour que la force soit légitime.

La description sommaire de ce mécanisme de symbiose entre État et nation en montre en même temps les forces et les faiblesses. La force de la nation incarnée par l'État est d'être l'instrument d'une ambition et son ciment. Sa faiblesse est d'être aujourd'hui à la peine pour s'incarner dans un monde où les États cohabitent avec des réseaux de communautés en tout genre et où les aspirations à la liberté restent difficilement compatibles avec les renonciations à la liberté qu'imposent la généralisation des conflits et la redéfinition de la notion de frontière. Le territoire à défendre est tout autant géographique que virtuel, ce qui rend complexe l'adhésion à l'État-nation.

Il est d'ailleurs symptomatique de constater que la plupart des travaux sur le concept de nation font l'impasse sur l'analyse des réseaux. Nous sommes capables de décrire les évolutions de la nation depuis plusieurs siècles. Nous pouvons en retracer précisément les étapes qui vont de la royauté, avec une communauté rassemblée autour d'un souverain, aux différentes étapes de la nation républicaine de l'ère moderne qui ont successivement consacré les provinces puis aujourd'hui les métropoles. La crise de l'État-nation n'est pas niée mais appréhendée à partir de l'échec de l'intégration de la vague d'immigrés et de la perte d'un certain nombre de repères (famille, école, travail, églises, partis politiques…).

Les réponses de différents analystes à la crise apparaissent, à notre sens, décalées, car, même si elles s'en défendent, elles font toujours appel à la « magie républicaine ». L'État apparaît toujours comme le garant de l'unité de la nation par les solidarités et sa préservation est décrite comme « l'ultime limite admissible de la mondialisation ». Ce scénario est possible mais il repose sur un postulat qui, comme tous les postulats, repose sur l'assentiment de son auditeur.

Or, force est de constater que les auditeurs sont de moins en moins citoyens d'un État et de plus en plus acteurs de réseaux qui débordent des frontières classiques et que les organisations supranationales sont elles-mêmes en crise. Le défi de la sécurité nationale réside bien là : mettre en cohérence État, nation, souveraineté et prospérité. Le « vivre ensemble » dans une démocratie tempérée est à ce prix.

Les menaces prises en compte par une politique de sécurité nationale

Le terrorisme – Les attentats à la bombe de Madrid de mars 2004, dirigés contre un réseau de transport urbain de voyageurs tout comme les attentats du 11 septembre 2001 et ceux connus par la France en janvier et novembre 2015, ont constitué des rappels brutaux de la vulnérabilité des sociétés démocratiques ouvertes.

Quatre principales formes de terrorisme peuvent coexister et parfois se chevaucher :

  • Le terrorisme parrainé par un État ;
  • Les mouvements sécessionnistes internes à un pays ;
  • L'extrémisme religieux, qu'il soit pratiqué par un réseau structuré, des groupuscules isolés ou des individus pouvant s'en réclamer par facilité ;
  • L'extrémisme à l'intérieur d'un pays quand il est responsable d'actes de violence commis au nom d'une communauté ou d'une religion.

Les catastrophes naturelles – Le seul fait que les pertes économiques associées soient en forte augmentation justifie l'intérêt de les inclure dans une approche de sécurité nationale, car elles ont, de par leur volume, un impact sur la vie et la prospérité des habitants d'un pays ou d'un continent (pour mémoire ce volume représentait 95 milliards USD en 2015, 330 en 2017 et 155 en 2018. Le bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophes a évalué en 2018 que les pertes économiques directes liées aux catastrophes climatiques ont atteint 2 245 milliards de dollars ces 20 dernières années, soit une augmentation de 150 % de leur impact financier par rapport à la précédente période de 20 ans.

La vulnérabilité des infrastructures essentielles – Cette menace est liée à la précédente, mais englobe la cybersécurité. Les cyberattaques représentent un risque majeur pour toutes les infrastructures reliées par des réseaux informatiques. Une étude Accenture de 2017 en a évalué le coût à environ 12 milliards USD en 2017.

Crime organisé – Le crime organisé est lui aussi mondialisé et concerne les trafics de stupéfiants, d'immigrants clandestins, de personnes, d'armes, de blanchiment d'argent, le vol (y compris le vol d'identité), la fraude commerciale et l'extorsion. L'intrication du crime organisé et du terrorisme accroît ce risque.

Pandémies – L'épidémie du SRAS en 2003, qui s'est répandue en quelques semaines dans trente pays, a démontré que ce type d'événements présentait une menace grave pour la sécurité des citoyens avec des conséquences physiques et économiques potentiellement dévastatrices. Là aussi l'intrication avec le crime organisé et/ou le terrorisme constitue un facteur d'aggravation de la menace.

Notes

  • [1]

    Maïla (J.), 1987, « Enjeux et dilemmes de la sécurité nationale », Études internationales, 18(4), 851-855.

    Balzacq (T.), 2003, « Qu'est-ce que la sécurité nationale ? », Revue internationale et stratégique, 4, n° 52, p. 33-50. DOI : 10.3917/ris.052.0033.

    Warusfel (B.), 2011, « La sécurité nationale, nouveau concept du droit français », Les différentes facettes du concept juridique de sécurité – Mélanges en l'honneur de Pierre-André Lecocq, Université Lille 2, p. 461-476.

  • [2] Conférence de la fondation Robert Schumann du 23 septembre 2016 : « L'Europe et la souveraineté : réalités, limites et perspectives ». Les sujets traités en 2016 sont toujours d'actualité en 2019 : souveraineté, puissance, influence. Le constat des travaux était notamment la « dilution » de la notion classique de souveraineté qui apparaît obsolète dans le contexte européen et mondial.
  • [3] Dictionnaire de philosophie politique, 2003, p. 735 et suivantes, 3e édition, Paris, PUF, Collection « Quadrige ».
  • [4] Les Six Livres de la République, rev. par C. Frémont et al., 6 vol., in Corpus des œuvres de philosophie en langue française, Fayard, Paris, 1986.
  • [5] Boosting resilience through innovative risk governance

Derrière cet article

Gérard Pardini En savoir plus

Gérard Pardini

Fonction Ancien directeur adjoint de l'INHESJ (2011-2015)
Discipline Droit public