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La prise en charge des disparitions en France, vers une nécessaire évolution

La prise en charge des disparitions en France, vers une nécessaire évolution
17sep.21

Cet article est issu du 52e numéro des Cahiers de la Sécurité et de la Justice. Élaboré par seize auteurs issus des milieux cliniques, juridiques et politiques, ce numéro traite des crimes complexes tels que les cold cases, des meurtres sériels ou encore des disparitions non élucidée.

En 2019, 51 287 signalements de disparitions de mineurs ont été faits à la police et à la gendarmerie. 97 % d’entre eux concernaient des fugues, 523 visaient des enlèvements parentaux et 918 des disparitions « très inquiétantes » pouvant représenter un risque immédiat pour l’intégrité physique de l’enfant – risque suicidaire ou mineur susceptible d’être victime d’un crime ou d’un délit (652 cas).

À côté de ces affaires, près de 16 000 disparitions inquiétantes de majeurs étaient enregistrées, sachant que les disparitions volontaires ne sont plus prises en compte depuis la suppression des recherches dans l’intérêt des familles en 2013 – plus de 3 000 signalements en 2013).

En 2019, ce sont donc 66 116 personnes majeures ou mineures qui ont été portées disparues (source : direction centrale de la Police judiciaire - DCPJ), plongeant des dizaines de milliers de familles dans l’angoisse et l’incompréhension.

 

Les proches venant signaler la disparition attendent que les pouvoirs publics mettent rapidement en œuvre tous les moyens appropriés aux fins de retrouver la personne disparue.

Lorsque aucun élément ne laisse présumer que la disparition a une origine criminelle ou délictuelle, mais que celle-ci suscite des inquiétudes nécessitant des vérifications et un début d’investigations, un dispositif d’enquête administrative est prévu par l’article 26 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995. Dans ce cadre, les recherches ne peuvent être effectuées que par la seule volonté de coopération des personnes ou organismes sollicités.

À défaut d’indices laissant présumer que la disparition résulte d’un crime ou d’un délit, mais si les circonstances la rendent néanmoins inquiétante, une enquête judiciaire doit alors être engagée.

En cas de désaccord sur le caractère inquiétant de la disparition entre les services de police ou de gendarmerie et le déclarant, le litige doit être soumis sans délai au procureur de la République aux fins de décision sachant que toute disparition de mineur ou de majeur protégé est systématiquement considérée comme une disparition inquiétante.

 

L’article 74-1 du Code de procédure pénale (CPP) permet aux enquêteurs de procéder aux constatations, réquisitions, perquisitions et saisies nécessaires (les gardes à vue étant exclues), mais à tout moment de cette procédure spécifique, si des éléments apparaissent laissant présumer que la disparition résulte d’un crime ou d’un délit, le cadre judiciaire de droit commun doit être adopté immédiatement.

Lorsque dans les huit jours les investigations n’ont pas abouti, et sur instructions du procureur de la République, elles se poursuivent dans les formes de l’enquête préliminaire. La procédure peut alors viser, en fonction des circonstances, un ou plusieurs crimes ou délits, notamment la séquestration de personne (articles 224-1 à 224-5-2 du Code pénal) ou la soustraction de mineur à l’autorité parentale (articles 227-7 à 227-11 du Code pénal) qui présentent l’intérêt d’être des infractions continues tant que la personne disparue n’est pas retrouvée.

Enfin, dans les affaires qui durent et deviennent complexes, le procureur de la République peut requérir l’ouverture d’une information, et les proches déposer plainte avec constitution de partie civile.

 

Le cadre juridique permettant le développement de l’enquête en matière de disparition est donc bien défini, mais, hélas, les investigations qu’il autorise peuvent ne pas être à la hauteur de l’attente des familles.

Ces dernières sont nombreuses à devoir parcourir un chemin de croix, alors qu’elles se trouvent sous le coup d’un choc émotionnel et éprouvent de vives inquiétudes les amenant à venir chercher auprès du policier ou du gendarme un soutien et une aide.

 

Le premier écueil rencontré survient dès leur arrivée au commissariat de police ou à la brigade de gendarmerie où il leur est souvent demandé de revenir, passé un délai de 48 heures supposé laisser le temps au disparu de réapparaître de lui-même, préjugeant ainsi d’une disparition volontaire, d’une fugue de courte durée. Pourtant les consignes sont claires. Le guide pratique du policier relatif à la recherche des personnes disparues mentionne, dès son introduction, que « Les 48 premières heures sont très souvent déterminantes » et que « La rapidité et la qualité de la réaction du premier policier saisi influent largement sur les chances de retrouver vivante et en bonne santé une personne disparue ».

Si la personne est partie avec son téléphone portable, la géolocalisation doit ainsi être faite immédiatement et, si elle a disparu en zone urbaine, le visionnage des enregistrements de vidéoprotection de voie publique doit être réalisé rapidement sous peine de perte définitive des données conservées très peu de temps.

 

Le second écueil arrive au moment de la reconnaissance du caractère inquiétant de la disparition par l’enquêteur. Sans écoute attentive des proches sur le contexte de la disparition, sur les habitudes du disparu, il est trop facile d’évoquer la liberté d’aller et venir, le droit à disparaître, sans prise en compte des autres éléments de contexte. Le plus souvent, la possibilité de recours devant le procureur de la République est tue. Enfin, aucune information n’est donnée sur les coordonnées des associations spécialisées dans l’assistance aux familles de disparus.

Lorsque l’enquête est engagée (l’enquête administrative étant de moins en moins utilisée), trop rares sont les cas où tous les moyens sont mis en œuvre comme le bornage téléphonique, l’exploitation de la vidéoprotection, le recours à un chien de recherche de personne (si la disparition est récente et si le point de départ est connu), l’enquête de voisinage et la visite du lieu de résidence du disparu, l’exploitation de son ordinateur, celle des données téléphoniques (appels reçus et émis, répertoire), la diffusion d’avis de recherche locaux, les opérations de battue, les vérifications auprès des établissements de soins et des associations caritatives.

Ensuite, en cours d’enquête, les proches sont souvent confrontés à l’absence d’information, que ce soit de la part des enquêteurs ou des magistrats. Certaines pistes peuvent ne pas être exploitées, une seule hypothèse étant privilégiée. Les rapprochements avec les enterrés sous X sont parfois négligés, de même que ceux faits avec d’autres disparitions pour dépister d’éventuels homicides sériels.

Et puis, la lenteur…. Dans certaines enquêtes, il n’est pas rare de constater l’absence de toute investigation pendant de longs mois, laissant penser à la famille qu’on laisse « pourrir » leur affaire.

 

Enfin, obstacle final, arrive le classement de l’enquête alors que tout n’a pas été exploré.

De nombreux proches n’apprennent que tardivement, notamment après avoir saisi le milieu associatif, qu’ils ont encore la possibilité de relancer l’enquête avec un dépôt de plainte contre X pour enlèvement et séquestration.

 

Après la clôture des procédures, que dire de la radiation du disparu du fichier des personnes recherchées, de la destruction des procédures archivées après cinq années, de l’absence de recoupements entre des affaires similaires ayant lieu sur un même territoire, concernant des personnes présentant le même profil ou s’étant déroulées dans des circonstances identiques.

Pour tenter d’apporter des réponses à ces manquements, des associations comme « Assistance et recherche de personnes disparues » (www.arpd.fr) font des propositions. Parmi celles-ci :

  1. La création d’un organisme interministériel chargé de coordonner l’action des services publics dans le domaine de la recherche des personnes disparues (qui ne concerne pas uniquement les ministères de l’Intérieur et de la Justice, plus de 8 000 disparitions de malades de type Alzheimer étant par exemple constatées chaque année) ;
  2. La systématisation de l’enquête administrative initiale pour toutes affaires de disparitions lorsque la cause criminelle ou délictuelle n’est pas supposée à l’origine, afin de déterminer son caractère inquiétant ;
  3. L’obligation d’information régulière des familles en cours d’enquête ;
  4. La création d’un fichier national unique des disparus et des enterrés sous X ;
  5. La détermination systématique des empreintes ADN et odontologiques de toute personne décédée non identifiée pour inscriptions au fichier des disparus ;
  6. L’allongement de la durée de conservation des procédures relatives à une personne disparue ;
  7. La mise en place d’un correspondant départemental disparition dans les services de police et de gendarmerie ;
  8. Le renforcement de la formation des magistrats, policiers et gendarmes dans le domaine des disparitions de personnes ; 
  9. La reconnaissance du statut d’association d’aides aux victimes pour les associations spécialisées dans l’assistance aux proches de disparus ;
  10. L’introduction d’un statut du « disparu volontaire majeur » ; 
  11. L’organisation d’assises de la recherche des personnes disparues afin de réunir tous les acteurs concernés et de faire des propositions d’évolution organisationnelle, technique, législative et réglementaire.

Derrière cet article

Bernard Valezy En savoir plus

Bernard Valezy

Fonction Vice-président national de l’association « Assistance et Recherche de Personnes Disparues »