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La fin d'un modèle de sécurité publique à la française

Le contenu de cette page a été écrit et publié sous la direction de l'Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) qui a rejoint l'Institut des hautes études du ministère de l'Intérieur (IHEMI) le 1er janvier 2021. Il était important pour la direction de l'IHEMI de conserver l'ensemble du contenu de l'INHESJ, qui constitue désormais la mémoire de l'institut.

La fin d'un modèle de sécurité publique à la française
27sep.19

Article de Frédéric Cocquetau et Jean-Michel Schlosser, chercheurs, issu du n°46 des Cahiers de la sécurité et de la justice consacré à l'extrémisme violent et au désengagement de la violence.

L'article tente de démêler l'impact de la réforme dite des « corps » et des carrières dans la police sur la gouvernance générale de l'appareil (de 1995 à 2017), en la mettant en parallèle avec l'état de crise larvée des identités professionnelles dans le domaine de l'investigation policière notamment. Les frontières entre police judiciaire et police administrative sont de moins en moins opératoires du fait de la réforme de 1995 qui a permis à bon nombre de policiers, quels que soient leur grade et spécialité d'origine, la possibilité d'exercer dans toutes les directions opérationnelles en mettant fin à la dichotomie qui avait institué un fossé entre police en tenue et police en civil.

Des facteurs de structuration exogènes à l'appareil et des soucis politiques permanents de meilleure gestion financière contextualisent l'hypothèse de la fin du modèle professionnel dualiste institué en France au sortir de la Seconde Guerre mondiale, en dépit de sa logique de structuration par l'État central. Se situant dans une sociologie pragmatique à mi-chemin entre divers diagnostics de la sociologie politique critique (souvent trop extérieurs) ou des inspections internes dédiées (souvent trop collées à la commande politique finalisée), l'article montre, à l'aide de nombreuses enquêtes, les stratégies d'adaptation de la machine régalienne amenée à coproduire de la sécurité face aux dangers du monde ouvert et à la protection des populations de son territoire. On y cherche moins un soutien populaire que de justifier, par un leurre idéologique politico-syndical, un recentrage permanent sur un « cœur du métier » mythifié.

Abstract: The article attempts to disentangle the impact of the so-called reform of police bodies and careers on the general governance of the police (from 1995 to 2017), by comparing it with the state of crisis of professional identities in the field of police investigation in particular. The borders between the judicial police and the administrative police are less and less operational as a result of the 1995 reform, which allowed all police officers, regardless of their rank and specialty of origin, to operate in all operational directorates by putting an end to the dichotomy and creating a gap between uniformed police and plainclothes police.

Factors of structuring exogenous to the apparatus and permanent political concerns for better financial management contextualize the hypothesis of the end of the dualist professional model instituted in France at the end of the 2nd world war despite its logic of structuring by the central State. Located in a pragmatic sociology halfway between various diagnoses of critical political sociology (often too external) or dedicated internal inspections (often too attached to the final political order), the article shows, with the help of numerous surveys, the strategies for adapting the sovereign machine to co-produce security in the face of the dangers of the open world and the protection of the populations on its territory. We are looking less for popular support than to justify, through a political and union ideological lure, a permanent refocusing on a mythicized “core business”.

À tous les étages de la hiérarchie de l'administration policière en tant que bureaucratie rationnelle légale, un savoir sociologique accumulé a stabilisé les connaissances sur la manière dont les agents de police étaient plus que tous les autres des fonctionnaires sujets à des difficultés identitaires, constamment aux prises avec l'étau de la tension de la force [Jobard, 2012] et du droit [Moreau de Bellaing, 2015 ; Pécaud, 2018]. On sait mieux comment les mécanismes de la « discrétion » policière ont fait de plus en plus souvent l'objet d'un « screening » sourcilleux de la part des hiérarchies de plus en plus attentives aux dérives de pratiques susceptibles de déboucher sur des actes arbitraires [Souchon, 1974 ; Thévenin, 2016], d'autant plus insupportables aujourd'hui qu'elles ont lieu dans la rue sous l'œil des médias ou des caméras citoyennes. Les controverses de spécialistes de ce champ ont achevé de convaincre, à rebours du sens commun, du fait que c'était bien dans le domaine du contact avec le public, que la grammaire normative de l'organisation policière était la plus développée et la plus contraignante. La portée de la célèbre métaphore du « chèque en gris » de Jean-Paul Brodeur, ce mandat « rédigé en des termes généraux et encaissé en opérations particulières dans une dissymétrie censée protéger à la fois l'émetteur et l'encaisseur » [Brodeur, 2003, 41 ; Jobard, de Maillard, 2015] fut l'un des paradigmes de lecture des plus discutés pour saisir la tension de la force et du droit vécue par le haut et par le bas de l'organisation policière. Il est devenu assez clair qu'au niveau supérieur de la police, les directions de la Sécurité publique sont très souvent confrontées au tabou d'un dilemme quasi insoluble entre la règle et la pratique [Reiner, 1991 ; Ocqueteau, 2006]. Dans cette configuration, deux options opérationnelles se présentent le plus souvent.

Ou bien celles-ci choisissent d'ignorer l'informel et dirigent leurs services en ne faisant référence qu'aux règles et aux recettes explicites des indicateurs de la performance individuelle et collective. Mais elles le font au risque de voir les écarts se creuser entre le droit, le fait et le chiffre, de produire des managers progressivement décrédibilisés dans leur autorité, où se dégraderait la qualité des relations collectives dans le service dirigé, et de voir se répandre de la rétention d'informations ou de la propagation d'indicateurs d'activités manipulés.

Ou bien, en tant qu'inlassables pédagogues-relais, elles se donnent les moyens d'expliciter et d'assumer en interne le fonctionnement réel de la machine à produire de la sécurité en faisant preuve de souplesse et d'adaptation constante dans les petites circonscriptions, tout en assumant les conséquences d'une forme d'« involution des buts » ou d'inversion hiérarchique dans les circonscriptions de plus grande taille où la division du travail est plus poussée [Monjardet, 1996]. C'est dans cette configuration que le middle management a toujours eu tendance à couvrir les pratiques réelles du back-office sur le terrain plutôt que de paralyser son action, au risque de menacer la légitimité de la pyramide des normes bureaucratiques verticales de l'organisation. Autrement dit, adopter une politique interne consistant à « ne pas faire de vagues ».

Cette image des présupposés de la tension entre le haut et le bas dans le système clos de l'organisation policière résiste encore en dépit de toutes les réformes internes, bien qu'elle ne soit plus toujours aussi vérifiée que par le passé, à mesure que les enquêtes empiriques de sociologues se sont multipliées dans les services de police [Mouhanna, 2002 ; Boussard et al., 2008 ; Lemaire, 2011]. Les sociologues du travail pensaient que les tensions internes à l'organisation avaient tendance à se résoudre selon des modalités d'action inhérentes à l'évolution des politiques policières. En premier lieu, par la négociation permanente des syndicats avec les pouvoirs publics sur les objectifs possibles et par la conversion des cadres aux nouvelles politiques de sécurité en relais du message des bonnes pratiques sur leurs équipes. Le premier objectif visait, surtout pour les fonctionnaires de la sécurité de catégories C et B, à s'enrôler massivement dans une cohésion syndicale pour mieux affronter l'hostilité perçue et les dangers du monde environnant, la pression des hiérarchies, les mises en cause du public, des médias, des juges et des multiples contrôleurs internes [Vigouroux, 1996 ; 2012]. Le second visait à « transformer la nature du pouvoir d'influence des cadres » de la police sur leurs troupes afin de mieux susciter leur adhésion aux nouvelles politiques policières. Cette dimension généralement sous-estimée fit l'objet de nombreuses réflexions et travaux à l'occasion des phases de modernisation et d'adaptation de la police d'État aux défis du monde environnant [Schlosser, 2018a]. C'est ainsi que le référentiel de transmission des savoirs mobilisés sous la première politique de modernisation des années 1980 consista en un modèle de pédagogie par les contenus encore assez rudimentaire (modèle PPC). Un second modèle d'inculcation se diffusa par la suite (1985-2005), à l'époque où fut lancée la première loi d'orientation et de programmation de la sécurité et donné le coup d'envoi à la réforme des corps et des carrières en 1995. La direction de la Formation de l'époque travailla à concevoir une pédagogie par objectifs (modèle PPO). Il s'agissait de reproduire un comportement policier autour d'un objectif à atteindre préalablement défini, et notamment à l'occasion de la réforme dite « de la police de proximité » (1997-2001). Enfin, sous l'ère de la LOLF et de la RGPP, s'imposa une nouvelle approche par les compétences (modèle APC), inspirée du modèle canadien de « l'institution apprenante », où la pédagogie dispensée visait à confronter les apprenants au discernement dans des situations professionnelles à difficultés croissantes.

En respectant les modalités de mise à plat de ce cadre d'analyse largement partagé de la sociologie des organisations et du travail dans la sphère des métiers de la sécurité publique des années 1980-1990 issu de l'ouvrage princeps de Dominique Monjardet [Monjardet, 1996 ; voir aussi, 1993 ; 2008], l'objectif du présent article vise à interroger à nouveaux frais les éléments d'évolution et d'inertie les plus saillants de l'appareil de manière à en dresser un nouvel état, une génération plus tard. Si le système de sécurité publique paraît en état de crise et d'adaptation permanentes – ce pourrait bien constituer un signe positif de sa vitalité –, on doit néanmoins se demander deux choses : ne serait-il pas entré lui aussi, comme à reculons, dans une phase de déclin selon une pente banale touchant l'ensemble des institutions classiques de l'ère post-moderne [Dubet, 2002] ? Et si tel n'était pas le cas, en quoi resterait-il cet heureux « modèle » centralisé et professionnalisé de l'après-guerre, suffisamment solide et résistant pour se montrer capable de résilience et surmonter les germes entropiques de son éclatement annoncé par usure ou épuisement des recettes politiques permanentes pour l'adapter aux évolutions du monde environnant [Mouhanna, 2017b] ?

Pour montrer comment la police nationale sut globalement résister et s'adapter aux stratégies de réforme de modernisation qui l'ont affectée depuis une génération, nous nous appesantirons dans un premier temps sur le primat de l'enjeu de la défense négociée de la réforme des corps et des carrières en tant que condition préalable à l'investissement de l'organisation collective dans toute politique de sécurité programmée. Nous examinerons ensuite comment les politiques de rationalisation des choix budgétaires (de la LOLF à la RGPP) de la production de sécurité ont altéré les identités professionnelles. Et comment ces deux phénomènes ont conduit à la promotion d'une rhétorique politico-syndicale défensive de recentrage sur le cœur de métier de la fonction d'investigation dans le champ de gouvernance de la « sécurité globale ».

Corpus

 

De quelles preuves empiriques disposons-nous pour nourrir cette contribution ? De deux immersions différentes au sein et à côté de la machine de sécurité, en tant qu'observateur et acteur. Le premier auteur se sert notamment d'informations administratives recueillies à l'occasion de rencontres et d'entretiens de témoins clés capitalisés lors de trois enquêtes successives menées entre 2012 et 2017 : la première a porté sur les attendus et la mise en œuvre du CNAPS, un organisme de contrôle paritaire des administrations et des syndicats patronaux des différentes branches de la sécurité privée (archives et entretiens privilégiés avec les acteurs de la réforme + observation d'un an du fonctionnement du collège du CNAPS, Ocqueteau, 2013) ; la deuxième est fondée sur un matériau d'enquête relatif à l'informatisation de la nouvelle main courante, dont la mise en œuvre a été observée dans 4 commissariats de police de taille différente [Ocqueteau, 2015a et b] ; la troisième a porté sur les prérequis relatifs à la renaissance d'un code de déontologie commun à la police et à la gendarmerie nationales en 2013 [Ocqueteau, 2016]. Cette enquête a exigé de plonger dans les arcanes des différents processus (lents et accélérés) des phases de rapprochement des deux forces jusqu'à la réforme de 2009, et d'en observer ses avatars de consolidation ultérieure [Ocqueteau, 2017]. Le deuxième auteur, ex-commandant de police à la retraite et récent docteur en sociologie, est un spécialiste de l'histoire des dispositifs et de l'impact de la formation initiale et continue dans les écoles et structures de formation de la police [Schlosser, 2013 ; 2016 ; 2018a ; 2018b]. Une récente enquête conduite auprès de nombreux agents du corps de commandement, de 2013 à 2015, a cherché à cerner l'impact de pénétration du NMP (new public management) et de l'inflation législative dans la procédure policière, et notamment au sein des métiers dits « de l'investigation » qui fédèrent désormais autant les agents de la PJ, des renseignements que de la sécurité publique stricto sensu.

La défense des corps et des carrières, primat de l'enjeu de toute réforme policière

Comprendre les raisons pour lesquelles le « modèle » français de police semble un paquebot inamovible, en dépit de toutes les politiques de sécurité que l'on veut lui faire assumer dans des contextes où ces enjeux sont de plus en plus politisés, exige d'interroger d'abord deux ordres de phénomènes distincts : d'une part, le temps long de la réforme des corps et des carrières et l'analyse rétrospective de son impact selon les catégories comptables de la redevabilité des finances publiques. D'autre part, les raisons de la pérennité du système de « cogestion » syndicale issu de l'après-guerre, désormais accentué par la « concurrence » de la gendarmerie demandant sa part du gâteau.

La « réforme des corps et carrières », un chantier d'adaptation permanent

Pour restituer une certaine profondeur de champ à l'impact de la réforme des corps et des carrières dans la police d'État, il convient de faire un bref retour sur les étapes et scansions les plus remarquables de ses évolutions sous la Ve République. Disons d'emblée qu'il existe une permanence statutaire des corps hiérarchisés, en dépit des changements de labellisations affectant les recompositions de grades sous la triple finalité de l'institution, la « garde du sommeil », la « traque du criminel », et la collecte du « renseignement politique » [Monjardet, 1996 ; Monjardet, Ocqueteau, 2004 ; Ocqueteau, 2014]. La réforme des corps et des carrières fut un enjeu permanent d'adaptation de la police française aux évolutions et menaces du monde contemporain depuis les « événements de mai 1968 ». Quatre étapes clés en ont balisé les métamorphoses et les mutations principales.

Une année fondatrice : 1972

La réforme de la police nationale initiée par le Général de Gaulle le 9 juillet 1966 après le traumatisme de l'affaire Ben Barka avait cherché à réunir dans un même statut les personnels de la Sûreté nationale et de la préfecture de Police, pour mettre un terme au particularisme de cette dernière, hérité de temps immémoriaux [Berlière, Lévy, 2011]. Cinquante ans plus tard, aucune équipe politique n'est parvenue à briser le particularisme historiquement enraciné de la préfecture de Police de Paris [Renaudie, 2008]. Ce qui ne fait plus nulle part débat aujourd'hui. Le particularisme de la PPP par rapport au reste du territoire continue d'être toujours justifié par sa « résonance politique et médiatique » (Paris étant capitale siège des institutions, haut lieu de brassage de populations, multitude de risques et de troubles à l'ordre public). Et son incarnation, la personne du préfet de Police détient à ce titre un immense pouvoir, comparable à nul autre préfet : il est à la fois détenteur des pouvoirs de préfet de zone de défense et de sécurité sur la région, et autorité de gestion des forces de police sur l'agglomération parisienne et les départements de la petite couronne. Il dispose de l'ensemble des services de sécurité publique, de police judiciaire, de renseignement et de gestion opérationnelle, autrement dit d'une « force de frappe et de réaction incomparable ». Aujourd'hui, ses effectifs se répartissent en 20 000 agents DSAP ; 5 000 agents pour la DOCP ; 2 200 agents pour la DPJ ; 900 agents pour la DRPP, 1 400 agents pour la DOSTL. Ces agents sont supervisés par 305 commissaires (18 %) sur les 1 616 postes répartis sur le territoire [préfecture de Police, 2016, 3 et 25]. En dépit de ce particularisme, l'image générale de la police nationale étatisée en 1941 s'est nettement simplifiée puisque, après les « années 1968 », elle s'était vue scindée, par l'effet de la réforme Racine de 1972, dans deux de ses attributs symboliques : une police en tenue incarnée par les officiers de paix (jusqu'alors ventilés en cinq grades) et une police en civil, matérialisée par des officiers de police. Cette terminologie avait été à l'époque décalquée sur la composante judiciaire de leur action (les OPJ). Les officiers de police se démarquèrent rapidement des premiers non seulement dans leur apparence vestimentaire (en civil vs en tenue), mais plus encore sur le plan statutaire. Ils obtinrent le titre d'inspecteurs de police, un corps civil se décomposant en trois grades analogues à ceux des commissaires, leurs supérieurs hiérarchiques et un échelon fonctionnel : inspecteurs, inspecteurs principaux et inspecteurs divisionnaires, chefs inspecteurs divisionnaires [Jankowski, 1996]. Quant aux gardiens de la paix, encadrés par des officiers de paix, s'ils avaient eu par le passé vocation à îloter et à rendre plus pacifiques les zones urbaines où ils étaient déployés, la professionnalisation de leur métier à partir de l'étatisation ne fit jamais de leurs dirigeants des « officiants de la paix ». Durant vingt-trois ans, historiens, sociologues et médias apprirent plutôt à raisonner dans les catégories de la bipartition de ces deux mondes de la coexistence policière [Demonque, 1983], en les associant peu ou prou aux catégories de la « police administrative » (en tenue) et de la « police judiciaire » (en civil). La première resta connotée par une symbolique de maintien de l'ordre et de commandement opérationnel de la sécurité publique dans la rue (le tout-venant de la police administrative de prévention), tandis que la deuxième restait associée au travail de la police judiciaire des enquêteurs en civil dans les bureaux.

Le chantier de la décennie 1995-2005

En l'espace d'une génération, les agents et les intérêts professionnels de ces deux catégories de police (civil-tenue) évoluèrent notablement, au point qu'une réforme d'ampleur devint nécessaire pour faire adapter les statuts aux fonctions. À partir du lancement de la première loi de programmation (LOPS) initiée par Charles Pasqua en 1995, une nouvelle architecture de l'édifice policier se dessinait, qui de l'ancienne partition issue de 1972, inaugura un nouveau système pyramidal reposant sur trois corps au lieu de cinq : naquit à cette époque un corps dit « de conception » (commissaires) au sommet, un corps d'ACMA (gardiens et gradés) à la base, et au milieu, un corps de commandement (officiers).

Cette architecture simplifiée fut rendue possible par la décision de fondre en un même corps les ex-officiers de paix en tenue et les ex-inspecteurs en civil. Cette fusion au forceps mit toutefois du temps à entrer dans les mœurs policières non sans avoir laissé pas mal de traces de perplexité parmi des fonctionnaires désormais tous astreints au port d'un uniforme distinguant leurs différents attributs hiérarchiques. Pour la petite histoire, rappelons qu'en 1998, les directions centrales durent mobiliser, pour les besoins du lancement de la réforme dite de la « police de proximité » les « ex-OP » alors « OPJ-sécurité routière » (art. L 23-1 C. route) et de former en catastrophe une armada d'agents de police judiciaire (APJ - article 20 CPP) pour leur donner une qualification d'OPJ, à cause de la déflation envisagée du corps des commissaires et des officiers, détenteurs de la qualification ès « qualité » (article 16 CPP), tout comme les douaniers (article 28-1 CPP). Le soutien des services de la formation continue dans la police entra pour ainsi dire en agonie par rapport aux urgents besoins de formation des « nouveaux OPJ ». Et la formation continue en vint à s'apparenter à une formation initiale, ce qui contribua à durablement obérer les capacités de réponse et d'innovation traditionnellement mises en œuvre en formation continue [Schlosser, 2018b]. C'est à cette même époque que naquit un consensus de lecture sur l'envol de procédures de PV considérées comme bancales dans le champ de l'investigation du domaine de la sécurité publique, voire de la PJ (qui connut le même phénomène). Vingt ans plus tard, à mesure que s'accroissent la judiciarisation des rapports sociaux et les contrôles de la déontologie policière [Mouhanna, 2002 ; Ocqueteau, 2016 ; Mouhanna, 2017a], et en dépit des remèdes apportés par les technologies d'aide à la rédaction des procédures1, cette gêne se fait encore ressentir parmi les divers acteurs de la chaîne judiciaire (parquets et avocats) amenés à émettre des diagnostics sévères sur le professionnalisme des chefs de groupes en PJ, le plus souvent des brigadiers chefs, des ouvriers ayant largement détrôné les anciens et nobles officiers ex-inspecteurs divisionnaires [Bonnet, 2018], comme on le verra infra.

À la lumière de la nouvelle dénomination du corps intermédiaire s'inspirant des grades en vigueur au sein de la hiérarchie militaire des officiers et sous-officiers de la gendarmerie, l'insistance donnée à l'identité d'une police au service du maintien de l'ordre et de la sécurité publique constituait plus qu'un symbole. La police de « sécurité publique » semblait avoir la prééminence sur la composante de « police judiciaire », ou d'investigation civile. Le corps intermédiaire de commandement des officiers de police se compose désormais de trois grades de lieutenants, capitaines et commandants de police. Il fallut attendre presque dix ans pour que la modernisation envisagée s'incarne concrètement dans un second protocole des « corps et carrières », dans un décret de Dominique de Villepin, alors second ministre de l'Intérieur du gouvernement Raffarin. Ce protocole fut signé le 17 juin 2004 et validé par le décret du 23 décembre 2004. Il s'efforça de donner une description cursive de l'identité fonctionnelle de chaque corps de la hiérarchie des personnels actifs de la police nationale, en son article 2. L'identité du corps sommital de « conception et de direction » [Ocqueteau, 2006] fut négociée et régie dans un décret à part, le 2 août 2005.

Le corps dit des « gardiens et gradés » passa alors de la catégorie C à la catégorie B. Le corps dit de « commandement et d'encadrement » (CCE) devenu « corps de commandement » (CC) passa de la catégorie B à la catégorie A, sous condition d'accepter une déflation de leurs effectifs de 18 500 à 12 000, puis de 9 000 à 8 0002. Le corps dit « de conception et de direction », inchangé dans son intitulé, passa de la catégorie A à A'. Ses membres furent désormais reconnus comme appartenant aux CSTE (corps supérieurs techniques de l'État), sous condition d'accepter une déflation de leurs effectifs de 2 200 à 1 600.

2016, l'année de « l'état d'urgence»

Mais c'est à l'occasion de l'état d'urgence provoqué par le contexte des attentats terroristes tout au long des années 2015-2016 [Cahn, 2016 ; Mouhanna, 2017b], que s'engagea de manière précipitée une vaste négociation autour d'un nouveau protocole dit de « valorisation des carrières, des compétences et des métiers dans la PN ». Il fut signé par les « partenaires sociaux » dès le 11 avril 2016 dans le prolongement d'une refonte générale du statut des trois fonctions publiques, dite des « PPCR » (parcours professionnels, carrières, rémunérations). Le nouveau protocole PPCR fut signé par neuf organisations sur les onze représentatives :

  • le corps de conception et de direction se vit alors doté d'un nouveau grade entre les divisionnaires et les contrôleurs généraux : le commissaire général à accès fonctionnel. L'objectif affiché était de favoriser la mobilité des divisionnaires qui n'avaient pas pu accéder, depuis la disparition du grade de commissaire principal en 2005, à un échelon fonctionnel, et de sécuriser le parcours des directeurs de service mis en disponibilité, une vieille revendication syndicale ;
  • le corps de commandement (correspondant à la grille A-type de la FP) vit consacrée la fusion des lieutenants et des capitaines de police, et l'apparition d'un grade de commandant à accès fonctionnel, afin de sécuriser les emplois fonctionnels et de valoriser les parcours professionnels des officiers. Le protocole PPCR prévit d'augmenter, à terme, le stock des 1 315 EF (14 % de l'effectif du corps), à 1 800 agents en 2022 ;
  • enfin, au sujet du corps d'encadrement et d'application (correspondant à la grille B-type de la FP), le protocole prévit une « meilleure fluidification du passage du grade de gardien de la paix à celui de brigadier », d'autant que depuis une réforme de 1997, comme on l'a vu supra, 10 000 gardiens étaient dotés de « qualifications brigadiers » (QB) et 3 000 d'entre eux de la qualification d'OPJ. L'objectif de la refonte du grade de brigadier visant à résorber à terme le vivier des QB et OPJ, est alors censé être franchi au moyen de deux incitatifs : l'avancement semi-automatique pour les gardiens de la paix dotés de 25 ans d'ancienneté depuis leur titularisation ; l'exclusion du grade de brigadier de la définition du taux d'encadrement du CEA afin d'obtenir une meilleure ventilation des brigadiers-chefs et des majors.

La crise des fonctions d'encadrement en police d'investigation

Dans la lente mutation de l'appareil de sécurité publique français, la pénétration de l'idéologie managériale de la reddition des comptes (accountability) par les indicateurs de performance a contribué à saper les fondements de stabilité du « modèle », au cours des années 2000. Non seulement les fonctions d'encadrement par lesquelles les fonctionnaires de police sont censés transmettre leurs valeurs et leurs modèles de conduite à leurs troupes se sont trouvées altérées par les recompositions induites par les réformes statutaires ; mais surtout, elles le furent par le biais des nouveaux objectifs et missions transversales à la police administrative et à la police judiciaire 3. Chaque policier dont le travail relevait naguère plutôt d'une des deux sphères peut désormais être évalué sur un plan juridique ou sociologique dans sa contribution à une fonction plus floue d'investigateur.

Entendons-nous d'abord, à titre liminaire, sur la notion polysémique de cadre, dans le domaine policier. Le cadre policier constitue, en effet, une figure à géométrie variable, ayant tendance à déstabiliser les certitudes des sociologues du travail.

La notion de « cadre » a toujours été présente dans l'organisation policière française très centralisée, très hiérarchisée, très professionnalisée. Elle a toutefois subi, ces dernières années, des modifications importantes tant au niveau de sa définition que de la portée de son application. Qui sont les cadres dans la police nationale ? Et au-delà d'une lecture exclusivement réglementaire ou statutaire, que peut-on dire de la notion d'encadrement ? Qui exerce les responsabilités de cadre, si tant est que la police soit un univers répondant en ce domaine aux caractéristiques générales des responsabilités qui en découlent ? La notion de cadre en tant que positionnement administratif ne pose pas de problème, il en va différemment lorsqu'elle est envisagée sous l'angle de la position réellement occupée ou de la responsabilité exercée sur le terrain. La mise en place du nouveau management public n'a pas modifié structurellement la position du cadre policier. Tel qu'il est défini par le statut particulier du corps afférent, l'officier (du lieutenant au commandant) reste le cadre par excellence dans la police. La dénomination de son corps d'appartenance est claire : corps de commandement. Ce qui a changé pour les officiers c'est l'évolution de missions qui couvrent désormais un champ administratif inexistant auparavant, lorsque la mission des cadres était exclusivement judiciaire, hormis le contingent des officiers de paix. Du fait de ses nouvelles fonctions managériales, le cadre officier n'est pas pour autant détaché du travail d'enquête. Bien que cadre, il n'en reste pas moins un policier qui participe au travail d'enquête et de terrain au même titre que les collaborateurs qu'il dirige. Le process de travail reste celui de la coopération [Lemaire, 2011]. Que penser des gradés et gardiens de la paix appartenant au corps dit « d'encadrement et d'application » ? Voilà un chevauchement sémantique problématique introduit par le biais des réformes successives des corps de la police. L'ambiguïté se voit redoublée par des majors et brigadiers-chefs accédant eux aussi à des postes de cadres en remplacement des officiers appelés à de plus hautes responsabilités. L'époque transitoire actuelle génère une réalité mouvante quant à la détermination exacte de la position de cadre en regard du grade détenu. La notion de cadre reste bien plus qu'ailleurs polysémique et polymorphe. En effet, tout fonctionnaire de police, quel que soit son grade, peut être cadre à un moment donné et ce, en vertu de son affectation, de la mission, des actes qui la composent, de structures environnantes, bref d'un ensemble d'éléments situationnels de nature à modifier sa posture de cadre, sinon son existence même, au point parfois de légitimer des hiérarchies informelles ou parallèles [Moreau de Bellaing, 2015]. Le cadre qui commande à des subalternes est également le cadre qui planifie, coordonne, fait exécuter et contrôle tout ou partie d'une mission de police dont il s'est vu confier la tâche. Quant aux syndicats de policiers, il est très significatif 4 qu'un nouveau syndicat labellisé Syndicat des cadres de la sécurité intérieure (SCSI) se soit substitué en janvier 2012 à l'ancien Syndicat national des officiers de police (SNOP). Significativement, le SCSI ouvrit ses statuts à une adhésion possible à des commissaires de police, en souhaitant vouloir contribuer à terme à la réunion, voire à la fusion des officiers de police et des commissaires de police en un seul corps 5.

Ces précisions liminaires étant acquises, il est temps d'observer comment se sont altérées les missions d'investigation traditionnellement valorisées dans la police à l'heure de la montée des officiers cadres managers. Ce qui demande à être examiné sur deux plans.

Sur un plan formel

Quelle que soit la terminologie employée, la vocation formelle du métier d'officier est de concourir, à la tête de son service, à l'exercice de la mission de police judiciaire, définie par l'article 14 du Code de procédure pénale. Elle a vocation à « constater les infractions à la loi pénale, à en rassembler les preuves et à en rechercher les auteurs ». Autrement dit, d'organiser un travail sur le terrain de surveillances, filatures, enquêtes de voisinage, constatations, etc., et leur traduction en actes par les compléments procéduraux induits : prises de plaintes, auditions de témoins, de suspects, de mis en cause, confrontations. En règle générale, la mission vise à accumuler tous procès-verbaux établissant les faits et leur contexte dans les moindres détails, les diligences, les recherches effectuées par les enquêteurs. Un travail lourd et souvent fastidieux qui exige de la précision, même s'il est réalisé dans des temps extrêmement courts, dès lors qu'une personne suspecte, a priori présumée innocente, est placée en garde à vue. La filière de l'« investigation », ou les services d'enquête, sont globalement répartis dans deux directions de la police nationale : la direction centrale de la Sécurité publique (DCSP) et la direction centrale de la Police judiciaire (DCPJ) avec leur équivalent dans le maillage de la préfecture de Police de Paris, la direction de la Sécurité de proximité de l'agglomération parisienne (DSPAP) et la direction régionale de la Police judiciaire de la préfecture de Police DRPJ-PP (le « 36 »).

Dans chacun des services ou unités de police d'investigation en sécurité publique ou police judiciaire, souvent divisés en groupes spécialisés dans tel ou tel domaine de délinquance ou de criminalité, se pressent désormais des fonctionnaires de tous grades, du simple gardien de la paix au commissaire divisionnaire, tous dotés d'un statut d'OPJ. Une situation inimaginable avant la réforme de 1995, où seuls les policiers en civil (inspecteurs et enquêteurs) pouvaient y accéder. Si aujourd'hui encore, la grande majorité des chefs de groupe (composés de 6 à 8 fonctionnaires en moyenne) sont des officiers, on observe néanmoins une part toujours croissante de gardiens et brigadiers amenés à occuper des postes de cadres (en tant que 2e ou 3e de groupe), sinon à diriger directement des opérations sur le terrain. Les officiers, cadres en police judiciaire, se retrouvent ainsi dans une situation inconnue avant 1995 où tous les fonctionnaires des groupes appartenaient au même corps, celui des inspecteurs. Le fait d'avoir été dotés du grade de principal ou divisionnaire ne changeait pas grand-chose aux relations hiérarchiques avant tout fondées sur de la compétence et de la complémentarité dans l'enquête. Si le chef de groupe (généralement un inspecteur divisionnaire) détenait une position tutélaire du fait de son expérience et de son ancienneté, le fonctionnement sur le mode des petits arrangements entre pairs d'un même service ou d'une même unité demeurait la règle. Après 1995, et l'arrivée dans les services des gardiens de la paix, les positions commencèrent à changer progressivement et à susciter des modifications dans les postures et les comportements. Les anciens « péjistes » expérimentent de nouvelles formes de rapports sociaux au travail, inhérentes jusqu'alors à la sécurité publique (dans les commissariats notamment). Ils se caractérisent, entre autres, par une forte syndicalisation tous grades confondus et une tendance à importer en police judiciaire un vocabulaire issu de la « culture » de la sécurité publique : un phénomène de montée des « chemises blanches » parmi les officiers, dans un univers civil qui n'avait jamais porté d'uniforme.

La lente désaffection du métier d'enquêteur à l'heure du managérialisme

Ce chantier s'est accompagné d'une politique et des stratégies managériales inconnues dans le monde policier d'investigation. De nouvelles pratiques de management de l'autorité en interne sont apparues avec leur lot de comptes rendus incessants, de réunions démultipliées, de redéfinition permanente d'objectifs, de délimitation d'indicateurs de performance et de tableaux de bord, sans compter le recueil effréné de statistiques de tous genres. Tous ces prérequis furent reçus comme autant d'injonctions ayant accentué en pratique le sentiment de dépossession de l'identité de l'ancien « enquêteur », restée à haute valeur ajoutée dans le classique imaginaire de l'habitus policier civil et chez les politiques relais. Une nouvelle identité du manager orienté « culture du résultat » commença à s'imposer à partir de la LOPSI d'août 2002 dans le schéma directeur de 2003-2007. Et cela, par le biais d'une intense mobilisation pédagogique de la direction de la Formation de la police nationale (DFPN) dans les écoles de formation. Cette direction de soutien se vit confier le mandat de relayer et transmettre les nouveaux objectifs du schéma ainsi déclinés : « donner à la PN une culture du résultat ; renforcer les compétences des policiers en matière d'investigation ; mettre en synergie les forces de PN, GN et Sécurité civile ; mieux coopérer avec les élus dans la mise en œuvre des politiques de sécurité ; mettre l'action sur la fonction renseignement » [Schlosser, 2016].

Bien vite, les commissaires ou les commandants managers furent ressentis en interne comme les vecteurs associés à une politique de rentabilité tangible de leurs services sur lesquels ils allaient être jugés, ce qui revint, le message ayant été perçu, à produire des chefs de service ou cadres orientés à la « bâtonnite » [Ocqueteau, Pichon, 2008 ; Matelly, Mouhanna, 2007 ; Mucchielli, 2008] ou à la « chanstique » [Didier, 2011 ; Bruno, Didier, 2013]. Là où dominait auparavant la légitimité reconnue aux anciens directeurs d'enquête, le cadre-manager allait s'imposer progressivement : le policier allait disparaître derrière le fonctionnaire ayant à appliquer les règles bureaucratiques de définition des tâches. Le nouveau cadre-manager s'apparentait de plus en plus fréquemment à un « contrôleur de gestion » bien plutôt qu'à un « solutionneur » d'affaires judiciaires. Comme si la voie royale qu'avait été naguère la police d'investigation se devait non pas de disparaître, mais à tout le moins de se voir reléguée à une pure redevabilité d'action quantifiable en fonction d'objectifs préalablement définis : « Ce qui compte aujourd'hui, c'est le temps de l'information à tout prix, la transmission d'information à la hiérarchie. Le temps judiciaire n'est pas leur temps » (Patricia, 53 ans, commandant fonctionnel, chef de pôle dans une brigade PJ de la préfecture de Police).

Ce changement d'identité est toujours douloureusement perçu par les officiers les plus anciens, issus du corps des inspecteurs, comme un abandon de la mission première, la négation de ce qui faisait d'eux des policiers, pour ne pas évoquer le sentiment d'un marché de dupes, une tromperie sur le métier : « Je ne suis pas rentré dans la police pour ça […] Quand j'ai passé le concours d'inspecteur, c'était pour faire des enquêtes et arrêter des voyous, pas pour faire du management […] Et dans vingt ans pour être flic, le mieux ce sera HEC ou l'INSEAD ? […] » (Richard, 54 ans, commandant fonctionnel, chef d'unité dans un service PJ de la préfecture de Police).

« La LOLF, je ne sais pas ce que c'est. Je ne sais pas ce que ça recouvre exactement. Je pense que ça doit être pour faire des économies […] J'ai juste entendu prononcer le nom par des collègues qui sont dans des bureaux au ministère […] » (Philippe, 55 ans, commandant de police, chef de groupe dans une brigade centrale de la PJ à la préfecture de Police).

« Une perte d'autonomie, une plus grande centralisation, une augmentation des contrôles, la chasse aux priorités avec en même temps beaucoup plus de réunions, de commandes, de mails, si on rajoute la pression médiatique et la charge de travail autour de l'enquête qui ont augmenté, à terme cela conduit à une sorte d'exaspération. Les officiers passent leur temps à faire remonter ou redescendre de l'information, ils ne sont plus dans l'action et ils en souffrent. Alors beaucoup demandent à partir dans des services de renseignements ou à la logistique » (Daniel, commissaire de police, chef d'un service PJ à la préfecture de Police).

Bon nombre d'officiers en charge d'unités ou de pôles notent, outre une intervention et une pression supplémentaires de la hiérarchie, un sentiment de perte d'autonomie totale due à une accentuation marquée du reporting.

« Avant c'était plutôt en fin d'enquête, maintenant c'est à chaque étape, presque toutes les dix minutes. En plus de ça, il y a tous les tableaux et les statistiques qui sont demandés par semaine et par mois. On finit par se dire qu'on n'est plus là que pour faire des stats. La grande question devient : on enquête quand ? » (Patricia, id.)

D'autres conséquences moins visibles ou dicibles de la managérialisation du métier ont été de déstructurer les arrangements ordinaires qui aidaient à accepter les contraintes, tels par exemple, ceux de la souplesse naguère garantie par les chefs de service sur les horaires de travail. Il y allait d'une forme d'équilibre consentie par le chef de groupe qui pouvait en échange demander plus d'investissement de l'équipe lorsque l'activité le justifiait. Ces arrangements tendent désormais à disparaître, ce qui se traduit par une réduction de l'autonomie du cadre qui garantissait sa légitimité de chef de groupe. Cette latitude, qui donnait une certaine forme de pouvoir, fonctionne beaucoup moins facilement aujourd'hui chez les recrues les plus jeunes dont les motivations premières sont plus souvent orientées vers la recherche d'un parcours de carrière tranquille et balisé [Pichonnaz, 2017] que dans un engagement vocationnel dans un métier « aventureux » qui tiendrait en bride la vie sociale et/ou familiale de chacun autant surinvestie que le travail de police.

Ces nouvelles prérogatives attachées à la qualification d'officier de police judiciaire conférant une haute responsabilité en matière de procédure pénale et le plein exercice de la fonction judiciaire dont peut se prévaloir dorénavant tout gradé ou gardien de la paix ayant réussi l'examen professionnel ont contribué à passablement révolutionner l'architecture de la police nationale par le bas. En effet, ces nouvelles prérogatives sont venues bousculer la hiérarchie quasi naturelle qu'avait instituée la qualité d'OPJ, apanage rare jusque-là réservé aux seuls commissaires et officiers de police. Cette qualité, désormais reconnue à l'ensemble des corps a généré des conflits d'un nouveau genre tenant à la nécessité de partager le pouvoir de l'usage de la force et de la coercition et de l'entrave aux libertés dévolu à un nombre infiniment plus important d'agents que par le passé.

Une crainte adventice d'un autre ordre s'est développée parmi les officiers en charge de groupes d'enquêtes : se voir progressivement relégués à des tâches administratives et statistiques au détriment du terrain, de sorte à leur faire perdre un peu plus en expérience. Bien plus que les commissaires, les officiers se trouvent confrontés à une quasi-impossibilité de mobilité géographique ou fonctionnelle. Car, contrairement au « deal » de la réforme politique conclue avec les commissaires, les différentes directions d'emploi des officiers ont eu tendance à bloquer le départ de leurs « cadres », pour y accomplir ces tâches administratives énergivores quand le slogan dominant consistait à ne « remplacer qu'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ». Beaucoup d'officiers, mal convertis à l'idée d'un management par les indicateurs de gestion [Purenne, Aust, 2010 ; Lemaire, 2011] ne parviennent pas à exceller dans les deux dimensions en même temps. Il leur faut « faire du management », ou bien, « faire de la police ». Du management avec, de surcroît, les nouvelles contraintes de la complexification des procédures, au point qu'a commencé à devenir audible l'idée de vouloir « sortir du judiciaire », une hérésie pour beaucoup…

« […] autant aller à la tenue pour commander vraiment, au moins là-bas on sera vraiment considéré […] et encore le pire, c'est que du vrai management on n'en fait pas, ce qu'on fait c'est de la résolution de conflit » (Sylvie, 50 ans, commandant de police, chef de groupe dans un service PJ de la préfecture de Police).

À vrai dire, le management distancié d'avec les petites équipes en PJ n'eut jamais beaucoup de consistance empirique, et ce lamento menaçant ne saurait valoir plus que de l'humeur. Car les agents subalternes attendent toujours du chef de groupe la définition de sa stratégie d'enquête, sa prise des décisions sur le terrain, sa capacité à orienter l'activité procédurale, ou sa faculté de contrôler l'exécution des actes écrits (procès-verbaux). Bref, son aptitude à faire respecter les canons très contraignants de la procédure écrite au pénal. Tout le reste, qui relève du pur circuit de la gestion administrative et managériale à relativiser, reste perçu et ressenti comme autant de contraintes inutiles qui ne sauraient jamais être la noblesse ou le « cœur du métier ».

« Et puis à cette époque-là, dans les groupes, t'avais pas besoin de préciser tels ou tels trucs, les mecs savaient ce qu'ils avaient à faire. Quand tu demandais deux volontaires pour aller sauter tôt le matin, t'en avais cinq. Le management comme ils disent aujourd'hui, ça consistait juste à faire passer la pilule aux trois autres qui n'iraient pas sur le serrage. Aujourd'hui on viendra plus tôt si on sait qu'il y a de la récup' à la clef […] » (Jean-Claude, 54 ans, commandant de police, chef de groupe dans une brigade PJ à Paris).

Les contraintes budgétaires imposées et les modes de gestion associés qui passent si mal parmi les anciennes générations le sont certes tout autant parmi les jeunes générations de policiers. Avec cependant d'autres stratégies argumentatives. Lesquelles tiennent moins à la nostalgie d'un statut et d'un savoir-faire moral qui donnait de l'autonomie sur les règles, que d'une offensive en règle contre le bien-fondé d'une politique de réduction des coûts, qui n'aurait pas ménagé la culture professionnelle de ses cibles.

« La politique des économies, c'est bien beau mais c'est pas pour nous. Ils n'ont pas compris que la police judiciaire ne ramènera jamais d'argent ? Au contraire, on est des services exclusivement dépensiers. On n'est pas là pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de l'État, malheureusement nous, on le dépense, car comment faire autrement ? Et puis tu sais les jeunes, ils ont compris, c'est pas comme nous les anciens qui avancions la thune, aujourd'hui plus question de mettre la main au porte-monnaie, le mot d'ordre est clair : pas d'argent, pas de missions » (François, 52 ans, commandant de police, chef d'un groupe en DIPJ).

Ces bouleversements relativement récents au sein de l'institution policière posent question en sécurité publique notamment. La résistance au changement des mentalités est moins nette qu'en PJ : les réformes managériales semblent y avoir été mieux assumées. Au point d'y rencontrer maints officiers, capitaines et commandants revendiquant de ne plus avoir à être sur le terrain pour y occuper des positions de commandement et/ou de décision nécessitant un retrait au quotidien plus marqué. Et ce constat peut être repris également par de jeunes gradés vis-à-vis de leurs équipes, gardiens de la paix ou adjoints de sécurité (ADS). De ce point de vue, l'expérience vécue par les formateurs policiers de la formation permanente constitue un observatoire empirique irremplaçable et des plus instructifs [Schlosser, 2018a]. Les formateurs, et les formateurs de formateurs ont dû assimiler rapidement les nouveaux préceptes de la LOLF et trouver rapidement des ressorts d'explication et de motivation au regard de leur propre connaissance de la maison… Leur enjeu fut de s'adapter très rapidement sinon d'inventer des procédures de traductions du droit aux techniques de maîtrise des usages légaux de la force à faire passer dans la novlangue managériale.

Défendre quelle identité d'enquêteur dans la coproduction globale de sécurité ?

« Je me suis fait policier pour être au centre des choses », avait dit l'un personnage des Justes de Camus [Camus, 1949], justification souvent reprise parmi les commissaires de police amenés à expliquer pour l'anoblir leur éventuelle « vocation » d'entrée dans la police [Ocqueteau, 2006]. Ce qui, en creusant la formule, signifiait deux choses : avoir toujours eu la curiosité de se tenir à l'interface de la connaissance et de l'anticipation des troubles et des désordres inhérents à toute société civile et en même temps, avoir eu le privilège d'appartenir à l'appareil de l'État régalien doté de ses armes, pour les mieux combattre. La recherche d'informations optimales sur les auteurs de désordres politiques et sociaux et sur des situations de crimes n'a pas véritablement conduit à unifier des polices publiques post-modernes comme des « travailleurs du savoir » [Ericson, Haggerty, 1997 ; 2001] autour d'une doctrine d'action policière guidée par le renseignement, bien que les tendances en soient pourtant perceptibles. Jobard et de Maillard [2015, 208 sq.] ont proposé de faire de l'intelligence led policing l'élément de doctrine central d'un nouveau modèle de police émancipé du modèle monjardien, en le déclinant en quatre modalités d'action : police de tranquillité publique ; police d'investigation ou d'élucidation ; police de l'information ; et police des foules. D'après ces auteurs, la troisième modalité se distinguerait de la « haute police » de surveillance des actions politiques du précédent modèle, en ce qu'elle se présenterait comme une police prédictive mêlant surveillance politique et surveillance de droit commun. Autrement dit, un mixte de « police politique » à la genèse hybride, une « police du savoir » (orientée vers la collecte de savoirs plutôt que dotée de compétences spécifiques en recherches et preuves, et vers la gestion prévisionnelle des risques), une « police algorithmique ».

Si la collecte d'informations ouvertes et fermées dans le monde social et des réseaux virtuels est devenue une tâche croissante parmi les savoir-faire policiers interconnectés, la compétition entre les polices quêteuses et enquêteuses, cloisonnées pour monopoliser une information à transformer en renseignement directement utile pour le personnel politique, reste un horizon plus que jamais d'actualité. La concurrence pour l'obtention d'une ressource rare pour le politique reste acharnée entre les services internes concurrents. Et paradoxalement, le partage de « l'information » rare entre les acteurs publics disposant de la contrainte légitime reste le fondement majeur de la cohésion identitaire de « l'État secret » isolé et replié sur lui-même [Laurent, 2009]. Les fonctions changent sans doute, mais les organes qui les servent, assez peu, ou du moins, beaucoup plus lentement.

Pour autant, une police qui coproduit de la sécurité fondée sur de la surveillance et de l'investigation avec des partenaires publics et/ou privés ne peut plus faire croire à la nécessité de son recentrage sur son « cœur de métier » pour des raisons budgétaires, au détriment d'un « reste » dont on peinerait à imaginer ce qu'il pourrait être. Une police qui coproduit de la sécurité avec d'autres forces dédiées se doit d'admettre qu'elle partage ou échange de l'information en la recueillant, sinon en la capturant par des voies illégitimes, sans forcément savoir prouver à son commanditaire immédiat la supériorité de son information sur celle de ses partenaires concurrentiels. S'il existe une lutte de pouvoir de l'investigation et de la recherche de renseignements entre agences et agents dans le champ régalien de la production de sécurité (policing), elle se doit d'être examinée par la sociologie à l'aune des contraintes inhérentes à la lutte symbolique ou réelle des acteurs pertinents à ce sujet.

Importé du monde de l'entreprise [Prahalad, Hamel, 1990), le concept de cœur de métier ou de cœur de compétences fait désormais partie, en France, des slogans partagés entre mondes politique et policier. Un sens commun bien pratique, d'autant que personne ne sait véritablement ce qu'il recouvre exactement. Quand un syndicat de police se plaint, à l'échelon national, de ce que les politiques tendent à assigner aux fonctionnaires de police les tâches les plus disparates transformées en tâches indues, la rhétorique du recentrage sur le cœur du métier n'est jamais très loin. Le plus souvent, il faut entendre implicitement que la police nationale aurait pour vocation non négociable de maintenir l'ordre (MO) par le biais de la patrouille, et de traquer le criminel, par le biais de l'enquête (PJ). Et que, par déduction, tout le reste des tâches pourrait peut-être être mieux accompli par d'autres forces subalternes, sans que le cœur de l'identité policière de l'enquêteur et du patrouilleur en soit affecté. Mais à la condition que le pouvoir de ces forces subalternes n'échappe pas au contrôle de l'État ou au contrôle de la police d'État, seuls garants de l'intérêt général. Le périmètre de la délégation des tâches possiblement rétrocédables, car indues, resterait alors en jachère, ou pour mieux dire, un objet de négociation perpétuel entre syndicats de police et pouvoirs publics. Que pourrait-on bien sacrifier au juste, dans un plan drastique d'économies budgétaires, qui puisse satisfaire les deux parties co-gérant les corps et carrières dans le système paritaire français décrit supra ? Un consensus semble de mise pour ne jamais toucher aux activités de lutte contre l'insécurité routière (que les tâches en soient préventives, en répression des infractions constatées ou en traitement des accidents de voie publique), mais pour qu'en soient délestés ou rétrocédés aux polices municipales ou aux sociétés privées tous les problèmes liés à la voirie et aux stationnements. Le consensus est évidemment de mise pour ne jamais toucher aux activités judiciaires (investigations et procédure, PTS…, bien que l'on discute du périmètre des activités d'appui au traitement judiciaire lors de la procédure policière, durant la phase juridictionnelle et surtout lors de celle de l'exécution des sentences). Il est également de mise pour ne pas toucher aux activités dites « de prévention et de dissuasion de la délinquance » chez les patrouilleurs (autrement dit, le champ de la prévention générale par patrouilles portées motorisées ou non motorisées ; ou celui de la prévention dissuasive par opérations coups de poing spécifiques).

D'une tout autre nature sont les débats autour de la réduction des périmètres au sujet des activités de défense de l'ordre public et de la police administrative quand elles ne concernent pas le maintien de l'ordre (MO) ou les divers services d'ordre (SO), mais touchent bien plutôt aux activités d'escortes, gardes statiques, police des étrangers (et notamment à la gestion des centres de rétention), ou à l'assistance fournie à d'autres services ou administrations.

Infinies sont en revanche les discussions autour du management, de la formation, du soutien et de la communication : ces tâches sont-elles par essence nécessairement vouées à être transmises et reproduites par des pairs supposés connaître les habitudes de la « maison », ou pas nécessairement ?

Ces importants débats qui ressemblent à de la cuisine interne ne sont hélas jamais affrontés par les représentations nationales et les médias. Nul ne sera surpris en revanche de constater que beaucoup plus ambiguës et sensibles sont les activités de sécurité publique en relation avec les usagers et les partenariats (qu'il s'agisse du recueil des demandes individuelles au guichet ou à domicile, du recueil des demandes collectives, de la résolution policière directe de problèmes ou dans le cadre de partenariats). Ces activités de service aux publics sont les seules activités ouvertes sur les besoins du monde extérieur. Or, et ce n'est en rien un hasard pour une police jacobine qui protège son isolationnisme à l'égard des publics qu'elle est censée servir, ce sont là les activités les moins valorisantes et les moins valorisées de l'appareil parmi les syndicats de police français et la technocratie politique aux commandes [Mouhanna, 2011].

Non seulement, il n'y a virtuellement plus de « cœur de métier » qui vaille chez le policier urbain, lié à l'usage monopolisé de la force et à l'entrave aux libertés publiques, puisque de facto, d'autres agents en ont largement pris le relais symbolique. On observe en effet que des tâches d'investigation liées à la surveillance « préventive », certes peu formalisées quoique néanmoins essentielles, sont de plus en plus souvent assumées par les agents municipaux et privés. Ce personnel occupe virtuellement une fonction de remplissage de tâches de patrouille et d'investigation actives moins valorisées en sécurité publique nationale que par le passé. Ce qui devrait temporairement apaiser les policiers d'État sur le recentrage de leur « cœur de métier », dans un moment où ils sont épaulés par les gendarmes pris dans des défis communs. Les limites de cet article ne permettent pas d'examiner cette dimension, mais il est bien évident que dans la nouvelle configuration de l'appareil de sécurité français tel qu'il se dessine aujourd'hui, celui du rapprochement des deux forces civile et militaire dans des objectifs de sécurisation désormais pensés et évalués en commun [Ocqueteau, 2017], constitue la nouvelle dimension d'un phénomène inédit, insoupçonnable dans le modèle initial.

Pour conclure...

Depuis que le capitalisme néo-libéral est devenu l'horizon idéologique indépassable de la planète [Boltanski, Chiapello, 1999], et que le calcul monétaire coût/bénéfice de la performance a colonisé l'imaginaire de tous les services publics [Bezes, 2009 ; Bruno, Didier, 2013], les mondes dits « régaliens et monopolisés de la “sûreté” », pris dans les étaux de l'État et du marché, en ont tous peu ou prou été affectés [Ocqueteau, 2004]. Les prétendues menaces de guerre asymétriques livrées par l'islamisme radical aux anciennes puissances coloniales et impériales ont provoqué une réorientation décisive de leurs appareils internes de sûreté. Sous le slogan français « déceler-étudier-former » [Bauer, 2008] et l'invitation faite aux pouvoirs publics de rapprocher et mobiliser les institutions publiques chargées de penser la « sécurité globale », cette superstructure idéologique est devenue le ciment dont l'ancien appareil de sécurité publique avait besoin pour réorganiser les infrastructures de lutte concrètement confrontées aux défis du nouveau monde. Déceler les signaux faibles de menaces extérieures et intérieures dans des situations et parmi des personnes suspectes de sympathies islamistes radicales, tel semble être devenu en l'espace de dix ans, le vecteur de justification prioritaire de la réorganisation de l'appareil régalien militaro-policier français.

Mais, ce qui freina jusqu'à présent l'évolution générale de la machine policière quand les politiques entendaient dépasser le modèle professionnel national centralisé hérité de la Seconde Guerre mondiale, considéré comme inadapté, était d'avoir sous-estimé ses forces d'inertie internes et les sentiers de dépendance au sein desquels avançait le paquebot. Le système de réforme des corps et des carrières chez les fonctionnaires concernés ne faisait sens et ne pouvait progressivement s'enraciner que dans la mesure où il était pérennisé, et pouvait par conséquent se penser avec l'homologue de la gendarmerie plutôt que contre elle. Ce n'était possible que parce que l'appareil de sécurité public en voie d'unification était désormais doté d'éléments de lecture et de communion commune : la confrontation à des situations à risque de menaces politico-criminelles, d'autant plus avérés qu'elles advinrent réellement, tels les attentats terroristes de 2015 qui furent assimilés à de véritables actes de guerre d'« ennemis intérieurs ». Ces événements justifièrent la mise en place d'un état d'urgence pérennisé par lequel deux phénomènes majeurs virent le jour : le bien-fondé de la lutte antiterroriste entreprise de longue date fut une nouvelle occasion de donner carte blanche à la mission de « police d'investigation », par une doctrine unificatrice de l'action des agents dépassant « les canons juridiques traditionnels des missions de police judiciaire et de police administrative identifiables à même les métiers ». Non seulement, un « droit pénal de l'ennemi » généré par de multiples lois de panique s'édifiait juridiquement à part, lentement mais sûrement dans le Code pénal commun [Cahn, 2016 ; Alix, Cahn, 2017], mais surtout les services de police étaient progressivement invités à faire flèche de tout bois pour maximiser leur efficacité, au point que les juristes eux-mêmes en perdaient leur latin, se demandant désormais si cette distinction avait encore un sens [Chambon, 2017 ; Parizot, 2017].

La fonction liminaire de recherche de renseignements colonisa ainsi le travail de toutes les polices, la France ayant pris le train en marche plus tardivement que d'autres nations, si l'on en croit l'apport et l'avancée critique des « surveillances studies » du monde anglo-saxon [Lyon, 2015 ; Castagnino, 2018]. La recherche de renseignement de tous ordres s'institua surtout à travers la consultation des fichiers de police judiciaire à des fins de police administrative et, inversement, leurs finalités pratiques eurent peu à voir désormais avec leurs modalités de consultation [Gautron, 2019]. De ce point de vue, la France semblait avoir rattrapé son retard. Virginie Gautron, se fondant sur une source parlementaire récente [Paris, Morel-À-L'Huissier, 2018] a montré comment 108 fichiers de police avaient été validés par la CNIL et le conseil d'État en un temps record. Sans même évoquer le très controversé fichier STIC [Pichon, Ocqueteau, 2011 ; Ocqueteau, Pichon, 2011], la consultation commune par la police et la gendarmerie du fichier TAJ qui avait fondu en un seul le STIC et le JUDEX en 2013, était devenu d'un usage préalable de consultation commun à toutes les polices, aux juges, voire aux avocats, alors que des alertes internes sur son contenu mal expurgé ne furent jamais entendues. Les fichiers de police étant censés avoir un double visage et une double finalité, depuis l'instauration de l'état d'urgence de 2015-2018 en effet, tous les accès juridiques furent facilités aux services dédiés à la traque d'une information utile dans le but d'empêcher un acte malveillant et/ou de « préserver l'ordre public ». La nouvelle application de l'informatisation de la MCI de 2011 était déjà censée permettre à tous les services de police de détecter des « phénomènes émergents » dans leur environnement territorial. Quant à l'article L 234-3 du Code de la sécurité intérieure de 2013, il autorisa la consultation du TAJ non seulement aux services de sécurité publique traditionnellement dédiés à l'investigation, mais aussi à tous les services de renseignement (extérieurs et intérieurs : tels la DGSE, la DRM, la DGSI, le SRT, l'UCLAT ou Tracfin6). À l'heure où nous écrivons, un rapport parlementaire vient même d'aller encore plus loin en suggérant au gouvernement de donner un accès direct à tous les OPJ des services de police (judiciaire, administrative et de renseignements) aux fichiers d'autres administrations, en supprimant la classique réquisition judiciaire préalable [Thourot, Fauvergue, 2018]. Signalons que dans cette conjoncture d'apathie collective au sujet de la défense des libertés et de la vie privée par les intrusions policières, la Chancellerie ne s'est pas fait prier, qui a donné depuis longtemps son quitus à la police judiciaire. Depuis 2014, la PJ a reçu en effet, sous forme de circulaire, le droit de procéder à des réquisitions sans avoir à solliciter la moindre autorisation préalable du procureur. Il est désormais officiellement question d'aller beaucoup plus loin. De maintenir notamment la validité de l'habilitation de l'OPJ délivrée par le procureur général lors de la première affectation pendant toute la durée de ses fonctions, de supprimer l'autorisation préalable du PR ou du JI pour étendre la compétence des OPJ sur l'ensemble du territoire, et de leur donner officiellement la possibilité d'effectuer, durant l'enquête préliminaire, des réquisitions à certains organismes publics (URSSAF, CAF, Pôle emploi…) sans autorisation du procureur. Il est même prévu d'étendre des prérogatives des APJ pour effectuer des réquisitions en enquête de flagrance avec l'accord du procureur, des prélèvements et des examens techniques et scientifiques (loi de programmation de la justice, Sénat, novembre 2018). L'imagination sécuritaire légaliste étant désormais à la surenchère permanente, des parlementaires militent pour octroyer aux réservistes de la gendarmerie issus du monde civil, le statut d'APJ, et non plus seulement celui d'APJA (agent de police judiciaire adjoint-article 21 CPP7).

Le modèle de sécurité publique décrit par Monjardet durant les années 1980-1990 est-il encore reconnaissable ? Et sa valeur heuristique peut-elle encore être défendue aujourd'hui ? Nous le croyons, au moins, dans ses grandes lignes. Les trois grandes fonctions de l'appareil sont encore clairement identifiables dans l'identité des métiers des fonctionnaires de police et de gendarmerie, malgré les réformes des corps et des carrières qui ont bouleversé et précarisé les fonctions d'autorité et d'encadrement des premiers. Il est clair que les organes expliquent encore les fonctions et pas l'inverse, contrairement à ce qu'ont prématurément allégué des analystes qui ont tenté de proposer un modèle alternatif [Jobard, de Maillard, 2015]. Mais cette situation est appelée à évoluer à grande vitesse désormais, au point de rendre le premier modèle de moins en moins heuristique, quoiqu'il ait l'avantage de rassurer la science administrative des spécialistes de « l'État de droit postmoderne » [Chevallier, 2011]. La rhétorique unificatrice de « police d'investigation basée sur l'intelligence » justifie en effet de disposer d'un socle commun de compétences et de pouvoirs identiques, autant dans la rue qu'au bureau, dans un contexte d'autant plus favorable que les institutions régaliennes y sont poussées par une évaluation permanente de leur performance en détection et contrôle d'un filet toujours plus large de « personnes et de situations à risque ».

En dépit du contrôle vétilleux des atteintes aux droits de la personne par les citoyens et les ONG vigilantes aux discriminations de traitements, le contrôle judiciaire des actes et des consultations policières préalables est devenu un enjeu de très faible efficacité, même si la rhétorique de la police procédurale comme contre-modèle est devenue très à la mode [Lévy, 2016]. À la recherche d'un prétendu « recentrage sur le corps de métier », l'État, les syndicats de police et désormais les gendarmes, dotés de structures associatives mieux à même de faire entendre leurs intérêts, tendent à négocier, à leur mesure, le contrôle à distance de toutes les autres sources de savoirs concurrentiels disponibles dans le monde réel et virtuel (municipal et privé), sans recourir à de la privatisation explicite de missions. Les directions de la formation servent quant à elles toujours de faire-valoir et d'accompagnement à ces politiques régaliennes disposées à recentrer le modèle sur lui-même, en amortissant les risques permanents d'entropie de l'appareil. On peut voir dans ces stratégies d'adaptation constante se dessiner les conditions émergentes de l'efficacité d'un nouveau modèle d'appareil de sécurité postmoderne annonçant la fin d'un modèle de sécurité publique à la française par un effet de morcellement d'un esprit policier relativement homogène qui avait su transcender les politiques des directions centrales. Le policier généraliste de naguère aurait plutôt tendance à vivre son métier d'aujourd'hui selon un « principe de présentation exclusive », c'est-à-dire en tant que spécialiste de tel ou tel domaine dans tel ou tel service particulier selon un mécanisme de fonctionnarisation croissante où le « métier » disparaît progressivement sous l'oripeau du « professionnel ». Quant à la bonne gouvernance de la machine par l'État-nation en des temps de « ni guerre, ni paix » [Linhardt, Moreau de Bellaing, 2013], il serait sans doute prématuré de la dépeindre à partir d'une théorie stabilisée de la police [Jobard, 2012] fonctionnant dans un nouveau modèle heuristique ayant troqué Max Weber pour Carl Schmitt et sa figure de « l'ennemi intérieur »

 


 

Citer cet article : « La fin d'un modèle de sécurité publique à la française », Cahiers de la sécurité et de la justice (revue de l'INHESJ), 2019 (n°46 « Extrémisme violent et désengagement de la violence : quelles pratiques psycho-criminologiques ? »), p. 94-111.

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Notes

  • Via notamment la mise au point du logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), réactivé en 2011, accompagnant une politique d'informatisation de la main courante, et capable de rendre compte simultanément de la table des emplois, des événements enregistrés et des modes de saisine des affaires. Cf. l'étude d'Ocqueteau (2015a et b).
  • Notons qu'après 1995, les cinq corps qu'avait connus la PN (commissaires, officiers, inspecteurs, gradés et gardiens, enquêteurs) se retrouvaient sans enquêteurs. Le sentiment de dégradation hiérarchique fut tel parmi les « nouveaux » officiers qui n'avaient jamais porté l'uniforme que les directions centrales acceptèrent d'aménager pour eux une autorisation de refus de « porter la tenue ». Symboliquement, les officiers de paix (qui comptaient dans leurs rangs des colonels cinq galons en tant que « commandants de groupements ») étaient jalousés par les inspecteurs (de la même catégorie B, mais de positionnement hiérarchique sans commune mesure : l'officier de paix, commandant de corps urbain avait peu à voir avec un inspecteur qui n'était que « chef de sa machine à écrire »). Il égalait surtout le commissaire [http://amicale-police-patrimoine.fr/Tenue_OPX_PP.html].
  • La distinction d'origine britannique si pertinente entre patrouilleur (patrolman) et enquêteur (detective) ne peut hélas pas être transposée aussi facilement dans le « modèle français ». En effet, les deux sphères juridiques de police administrative et judiciaire s'interpénètrent, et les « policiers sur le terrain », qui ne sauraient être réduits à exercer des fonctions de patrouilleurs pour se substituer à celles, plus anciennes d'îlotiers, continuent de les mobiliser simultanément : le contrôle d'un débit de boissons (police administrative) peut être une occasion détournée de démanteler un trafic de stupéfiants (police judiciaire) et inversement, de sorte que la frontière PJ/PA n'existe pas véritablement dans la réalité opérationnelle. Pourtant, ces deux types d'activités ont longtemps été évalués séparément, d'autant plus quand elles dégénèrent en contentieux disciplinaires ou judiciaires. Le distinguo reste un prérequis fondamental de démarcation pour en juger le cadre procédural pertinent, bien que de plus en plus difficile à justifier, s'agissant notamment du problème envenimé de la « légalité » et du vécu des contrôles d'identité [Roché, 2018].
  • Après un long clivage historique très idéologisé entre le SNOP (plutôt de sensibilité de gauche) et Alliance Synergie puis Synergie Officiers (de sensibilité beaucoup plus droitière), tous deux arc-boutés, par-delà leurs divergences idéologiques et corporatistes, contre le syndicat unitaire des commissaires jusqu'en 2006.
  • Affilié à l'UNSA en 2014, il a rejoint la CFDT.
  • DGSI : direction générale de la Sécurité intérieure ; SRT : Service de renseignement territorial ; UCLAT : Unité de coordination de la lutte antiterroriste ; DRM : direction du Renseignement militaire ; DGSE : direction générale de la Sécurité extérieure ; TRACFIN : Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins.
  • AEF, Sécurité globale, Dépêche n° 593661, du 10 novembre 2018.

Derrière cet article

Frédéric Ocqueteau En savoir plus

Frédéric Ocqueteau

Fonction Directeur de recherches, CESDIP (CNRS)
Discipline Droit public, Sociologie
Jean-Michel Schlosser En savoir plus

Jean-Michel Schlosser

Fonction Chercheur au CESDIP (CNRS)
Discipline Sociologie