IHEMI

Fil d'Ariane

Blanchiment de la traite des êtres humains : réflexions générales sur la complémentarité des deux approches

Blanchiment de la traite des êtres humains : réflexions générales sur la complémentarité des deux approches
02juin.23

Cet article a été écrit par Salomé Lannier, doctorante en droit privé et juridique à l'Université de Bordeaux et l'Universitat de València. Il est issu du n°48-49 des Cahiers de la sécurité et de la justice.

L’argent est le nerf de la guerre. Je reconnais qu’il s’agit d’une accroche bateau, mais elle n’est pourtant on ne peut plus vraie. Quel intérêt y a-t-il à entrer dans la criminalité ? À s’exposer à la menace pénale ? À se cacher ? Pour grand nombre de criminels, entre autres motivations, le profit. Par intérêt lucratif avare ou pour échapper à une situation économique insuffisante.

Ainsi, suite à ce constat, et sous l’influence d’organismes internationaux (comme l’Organisation des Nations unies ou le Groupe d’action financière - GAFI), la France a adopté une nouvelle stratégie de répression pénale, en essayant de mettre l’accent sur le démantèlement des réseaux financiers criminels. Quel serait l’intérêt de commettre une infraction si le profit retombe dans les mains de l’État (ou de la victime) et non du délinquant ? Cette stratégie passe donc notamment par la mise en avant de l’infraction de blanchiment de capitaux. D’abord prévue de manière limitée, cantonnée au trafic de stupéfiants (à l’instar de l’état des conventions internationales), l’infraction s’étend aujourd’hui, en France, à tous les crimes et délits. On s’attaque au blanchiment de l’argent de la drogue, de la contrebande, de la contrefaçon, du trafic d’armes… Une série de biens (ou de « services », pourrait-on soutenir, comme dans le cadre d’une fraude fiscale ou de la corruption) qui ne peuvent être vendus qu’une seule fois. Une consommation instantanée, sans état d’âme si on saisit le bien en question.

La problématique évolue quand on s’attaque au blanchiment de l’argent de la traite des êtres humains. Les biens en question sont ici des humains : des hommes, des femmes (surtout des femmes), des enfants. Ceux-ci peuvent être exploités sur une longue période, vendus plusieurs fois, passant entre les mains de plusieurs trafiquants. La traite aurait généré 150,2 milliards de dollars en 2018, dont 99 milliards tirés de l’exploitation sexuelle, majoritairement en Asie et dans les pays développés [GAFI - APG, 2018, p. 13 et 14].

Pourtant, les mesures de lutte contre le blanchiment n’ont pas forcément été pensées dans ce cadre, où le bien exploité possède une vie propre. Au contraire, une analyse financière, dans un domaine aussi humain, a pu susciter des critiques. Une approche aussi économique, se basant sur des chiffres objectifs (quand on en a), tend à effacer les aspects sociaux et les besoins des victimes. La lutte contre le blanchiment de capitaux est l’apanage d’une approche sécuritaire, où l’intérêt n’est pas porté sur les victimes (qui d’ailleurs, à première vue, n’existent pas), mais sur la protection du système économique et financier. D’autre part, si la lutte contre la traite des êtres humains a fait l’objet, de la même manière, d’une première approche sécuritaire, mettant l’accent sur la lutte contre les groupes criminels organisés transnationaux et sur l’endiguement de l’immigration illégale, d’autres approches, plus « sociales » se sont renforcées, faisant valoir les droits fondamentaux des victimes, et la forte composante de genre, ces formes d’exploitation (notamment l’exploitation sexuelle) cristallisant presque toutes les inégalités genrées de la société. Il doit être précisé que l’étude s’est centrée sur la traite des êtres humains en sa forme d’exploitation sexuelle. Le choix de cette forme d’exploitation est dû au fait qu’il s’agit de celle sur laquelle les études sont les plus nombreuses, notamment au niveau économique. De plus, si le nombre de victimes est plus important en matière de travail forcé, les revenus sont beaucoup plus élevés en matière d’exploitation sexuelle. Au demeurant, l’exploitation sexuelle est très variée, allant du mariage forcé à la prostitution forcée, en passant par la pornographie non consentie.

Cette précision permet de faire le lien avec la notion juridique de traite des êtres humains, où la notion de consentement est fondamentale. Le processus s’initie par l’enlèvement ou le recrutement de la victime. Ce recrutement peut se faire avec le consentement « trompé » de la victime : souvent, celle-ci ne connaît pas l’objectif réel du processus, à savoir, son exploitation et la violation de ses droits les plus fondamentaux. Les trafiquants développent même de plus en plus des méthodes vicieuses de recrutement, comme en faisant croire aux victimes à un mariage d’amour, qui finit par un « prêt » de la future mariée aux amis du trafiquant, puis à des gens inconnus contre rémunération. La seconde étape consiste en son transport, et son entrée dans un autre pays, en cas de traite transnationale. La troisième étape, la plus longue, suppose le déroulement de l’exploitation de la victime dans le ou les pays de destination. De cette exploitation seront retirés des profits, qui devront être blanchis durant une phase additionnelle, d’autant plus commune si l’on se situe dans le cadre d’un réseau criminel de grande ampleur : on retombe donc sur l’infraction de blanchiment de capitaux. Or, la traite demeure une infraction très profitable, dès lors que les trafiquants sont peu condamnés, et, même en cas de condamnation, leurs profits sont assurés, car rapidement rapatriés vers des endroits où ils ne pourront pas être saisis : il s’agit dès lors d’une activité criminelle que l’on qualifie de « high profits - low risks ».

Afin de renforcer la lutte contre la traite, une nouvelle option apparaît pour éviter de maintenir cette impunité des trafiquants : si cette infraction est si difficile à réprimer, il convient d’essayer de réprimer des activités qui lui sont connexes, notamment le blanchiment d’argent. L’approche financière éviterait d'attaquer frontalement les réseaux de traite, et pourrait se révéler moins coûteuse et plus efficace, en privant les délinquants de leurs profits, et dès lors, de tout intérêt à maintenir un réseau de traite devenu infructueux [Aronowitz, 2009, p. 146]. La répression pourra alors s’effectuer, de manière cumulative ou alternative selon les besoins, sur le fondement de la traite d’êtres humains ou du blanchiment d’argent, permettant d’apporter une solution aux difficultés d’identification de l’infraction d’origine et offrant des moyens d’enquête financiers plus « objectifs ». L’argent est l’intérêt du crime, mais il pourrait donc être par la même occasion son talon d’Achille.

En pratique, cette possibilité est de plus en plus prise en compte dans le cadre de la lutte contre la traite d’êtres humains. Ainsi, la stratégie de lutte contre la traite de l’Union européenne, pour 2012-2016, soutenait déjà expressément une « proactive financial investigations of trafficking cases » [Commission européenne, 2012, p. 18]. De même, Interpol entend « tarir les flux financiers qui profitent des groupes vulnérables », notamment par la traite d’êtres humains [Interpol, 2018, p. 10 et 27]. Au niveau étatique, certains pays sont plus en avance que d’autres. Le Brésil avait évoqué la possibilité d’approuver une loi liant le secteur financier et le blanchiment d’argent à la lutte contre la traite d’êtres humains ; des rapports ont été émis au Royaume-Uni ; le Canada a renforcé des projets inter-institutions. De manière générale, de plus en plus de cellules de renseignement financier, l’institution phare de lutte contre le blanchiment d’argent, s’intéressent et élaborent des rapports sur la lutte contre le blanchiment de l’argent de la traite [Farms, 2017, p. 13]. Ainsi, en Thaïlande, qui affiche une forte volonté de lier les deux domaines, la cellule de renseignement financier a tenu, en 2018, cinq conférences sur le blanchiment d’argent dans le cadre de la traite d’êtres humains, et de nombreuses formations sur le même sujet [AMLO, 2018, p. 65].

Si la traite des êtres humains est une infraction qui se regarde comme un processus, avec plusieurs étapes, le blanchiment d’argent lui ressemble sur ce point. Celui-ci s’initie par l’étape du placement, aussi appelé prélavage ou immersion. À ce stade, le trafiquant blanchisseur introduit des profits illégaux dans une structure légale, comme un compte bancaire, par des dépôts, virements… Cette opération est généralement réalisée sur un territoire proche de l’activité criminelle, sachant que l’argent à blanchir sera souvent en espèces. Cette première étape est celle où les blanchisseurs sont les plus exposés. La deuxième étape, dite « de l’empilement » (aussi appelé dissimulation ou lavage) consiste en une série d’opérations afin d’éloigner les profits de leur source illicite et de leur donner une apparence légitime. À ce stade, les blanchisseurs seront tentés de recourir à des centres offshore, de dimension internationale ou régionale, à la législation financière laxiste. Enfin, la dernière étape consiste en l’intégration ou la conversion des fonds, par leur réinjection dans l’économie licite. Durant tout le processus, les fonds tendront à être déplacés d’économies commercialement instables, vers des territoires plus développés. Ainsi, en Europe, l’euro permet un système financier solide, et la France est dès lors « essentiellement exposée à des opérations d’intégration d’argent criminel dans son économie licite » [Davoust, 2002, p. 2].

Le questionnement général de ce travail s’est donc centré sur l’étude des mécanismes de lutte contre le blanchiment d’argent, tant répressifs que préventifs, afin de déterminer leur opportunité dans le cadre de la lutte contre la traite des êtres humains en sa forme d’exploitation sexuelle. L’approche financière, comme la lutte contre la traite, peut se diviser classiquement en deux temps. D’une part, l’approche préventive du blanchiment vise à contrôler la circulation des échanges financiers, afin de prévoir et d’empêcher des vides juridiques dans lesquels pourront s’engouffrer les trafiquants pour blanchir leurs profits. Cette technique « from below » va mettre en jeu de nombreux acteurs privés. D’autre part, l’approche répressive incrimine l’infraction de blanchiment, mais permet aussi une intervention en aval, avec notamment la confiscation des profits. Cette technique « from above » va principalement se dérouler sur la scène étatique et internationale par les sanctions et une incrimination conjointe d’un crime transnational. Dans le cadre de ces deux approches, une attention particulière devra être portée sur la coopération internationale, d’importance majeure en présence d’infractions fortement transnationales tels que le blanchiment d’argent et la traite d’êtres humains en sa forme d’exploitation sexuelle.

Un bref aperçu du volet répressif

La définition du blanchiment d'argent

Le blanchiment d’argent ne fait pas l’objet d’une seule définition harmonisée au niveau international. Il n’y a qu’à lire les recommandations du GAFI, qui sont les standards de référence en la matière (standards de soft law qui sont un exemple parfait de droit mou très contraignant). Le GAFI n’ose même pas donner de définition unique de blanchiment : il renvoie aux conventions de Vienne, sur le trafic de stupéfiants, et de Palerme, sur la criminalité transnationale organisée. Ces deux infractions s’appliquent donc à des infractions pénales spécifiques, et n’avaient donc pas pour vocation de définir le blanchiment de capitaux dans son ensemble. À ces textes s’ajoutent les conventions du Conseil de l’Europe en matière de blanchiment (convention de Strasbourg de 1990 et convention de Vienne de 2005), et les directives successives de l’Union européenne. Malgré la diversité des textes, les pays à l’origine de ces multiples textes ont dû pressentir les difficultés liées à de nombreuses définitions du blanchiment, et, de ce fait, la variété des champs d’application n’entache que peu la définition internationale du blanchiment, qui est aujourd’hui relativement unifiée. À titre d’exemple, on peut citer la définition de l’Union européenne, à l’article premier de la directive 2015/849 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relative à la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme : « sont considérés comme blanchiment de capitaux les agissements ci-après énumérés, commis intentionnellement : a) la conversion ou le transfert de biens, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une activité criminelle, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite de ces biens ou d’aider toute personne impliquée dans une telle activité à échapper aux conséquences juridiques des actes qu’elle a commis ; b) le fait de dissimuler ou de déguiser la nature, l’origine, l’emplacement, la disposition, le mouvement ou la propriété réels de biens ou des droits qui y sont liés, dont celui qui s’y livre sait qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité ; c) l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens, dont celui qui s’y livre sait, au moment où il les réceptionne, qu’ils proviennent d’une activité criminelle ou d’une participation à une telle activité ; d) la participation à l’un des actes visés aux points a), b) et c), le fait de s’associer pour le commettre, de tenter de le commettre, d’aider ou d’inciter quelqu’un à le commettre ou de le conseiller à cet effet, ou de faciliter l’exécution d’un tel acte ».

Cependant, des diversités s’élèvent au sein des transpositions nationales, ce qui n’est pas pour faciliter la coopération internationale (au regard du critère de double incrimination qui est présent dans de nombreux pays et domaines d’entraide), allant de la réutilisation mot pour mot de la définition internationale à une définition complètement différente. Ces différences résident dans les choix législatifs des pays, relatifs aux infractions d’origine du blanchiment, à l’origine interne ou externe de celles-ci, ou encore à l’auto-blanchiment. Quant à ce dernier sujet, et partant du postulat que, dans de nombreux cas de traite, les trafiquants blanchissent eux-mêmes leurs profits, il peut être intéressant de ne pas se suffire de l’infraction de blanchiment, mais de les poursuivre en même temps pour l’infraction de traite. La reconnaissance de cette infraction principale, décelée notamment grâce à l’enquête financière, permettra notamment l’octroi plus aisé du statut de victimes aux personnes victimes de traite.

La définition de la traite des êtres humains

Contrairement à la définition internationale du blanchiment de capitaux, la traite des êtres humains bénéficie d’un seul texte, le Protocole de Palerme de 2000 sur la traite des êtres humains, additionnel à la Convention des Nations unies contre le crime transnational organisé de la même année. Le protocole donne donc une définition unique, et criminalise pour la première fois toutes les formes de traite, en donnant une liste indicative, qui inclut l’exploitation sexuelle. Ainsi, la traite est définie, à l’article 3.a), comme : « le recrutement, le transport, le transfert, l’hébergement ou l’accueil de personnes, par la menace de recours ou le recours à la force ou à d’autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d’autorité ou d’une situation de vulnérabilité, ou par l’offre ou l’acceptation de paiements ou d’avantages pour obtenir le consentement d’une personne ayant autorité sur une autre aux fins d’exploitation ». Si on peut applaudir cette définition unique, celle-ci n’est pas sans critiques. Ainsi, la situation de vulnérabilité n’est pas définie, et que la liste de moyens mis en œuvre pour procéder à la traite semble exhaustive, alors que de nouvelles méthodes de traite apparaissent, contournant ces moyens énumérés, mais relevant pourtant bien du même mécanisme de traite d’êtres humains. Ensuite, le protocole étudie la traite comme un phénomène uniquement transnational dont les acteurs sont les groupes criminels organisés, requérant des législations spécifiques en matière de migration, et n’abordant pas la traite interne. Enfin, il choisit une approche sécuritaire, sans même rappeler les droits fondamentaux des victimes.

Un autre problème, plus global au protocole, et spécifique à l’exploitation sexuelle, est que celui-ci ne se positionne pas sur les relations entre prostitution et exploitation sexuelle, et qu’il ne définit pas cette dernière. Selon la politique étatique prise en matière de prostitution, celle-ci peut influencer largement sur la définition de la traite. Sur ce débat, deux extrêmes apparaissent clairement. La vente de services sexuels peut être considérée, d’une part, comme un travail ou, à l’opposé, comme une pratique constituant dans tous les cas une grave atteinte à la dignité humaine, et pouvant être qualifié d’exploitation, en tant qu’il réduit la personne à un objet pouvant être acheté. De ces deux positions découlent trois types de politique en matière de prostitution. En premier lieu, le prohibitionnisme est un régime qui sanctionne le proxénétisme, le client, mais aussi la personne prostituée, sans distinguer la prostitution propre et l’exploitation sexuelle. Le réglementarisme considère la prostitution propre comme un emploi comme un autre, régulé par des normes propres. L’abolitionnisme promeut la suppression de la réglementation de la prostitution d’une part, et sanctionne le proxénète et les clients d’autre part. La victime est toujours considérée comme une victime à protéger.

Par conséquent, les États, rappelant les débats politiques relatifs à la prostitution, ne sont pas arrivés à définir l’exploitation sexuelle, ni au niveau international, ni au niveau national de manière harmonisée. Des divergences importantes subsistent quant à l’infraction de traite, dont la définition peut se trouver dans le texte pénal général ou dans un texte particulier de lutte contre la traite. Cette définition nationale peut reprendre la définition internationale classique, tout en modifiant certaines notions, voire établir une infraction complètement différente qui ne facilitera pas la coopération internationale.

Intérêts répressifs pratiques dans la lutte contre le blanchiment dans le cadre de la traite

Une fois les problématiques théoriques sur les définitions établies, la mise en place de la lutte contre le blanchiment de l’argent de la traite peut permettre, à part l’utilisation d’une infraction connexe à la place de l’infraction de traite qui soulève de nombreux débats, la mise en œuvre de mécanismes particuliers, tant au niveau de l’enquête qu’au niveau du jugement.

Ainsi, la lutte contre le blanchiment bénéficie d’instruments spéciaux à l’enquête financière. Tout d’abord, le blanchiment d’argent peut permettre à l’enquête de bénéficier de pouvoirs supplémentaires : des mesures spéciales d’investigation pénale peuvent être mises en place, tel que recommandé par le Protocole de Palerme, le GAFI, et les conventions de Strasbourg et de Vienne du Conseil de l’Europe. Au regard des pays européens étudiés (France, Espagne, Belgique, Allemagne), la France semble posséder le cadre juridique le plus développé, avec un Livre entier du Code de procédure pénale dédié à des procédures particulières. Conformément à l’article 706-73-1, le blanchiment permet d’appliquer des mesures d’enquête propres à la criminalité organisée, qui permet notamment les visites, perquisitions et saisies de nuit, l’infiltration, l’enquête sous pseudonyme, les interceptions, enregistrement et transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications, etc. Ces techniques spéciales semblent d’utilité limitée : quand elles existent, elles couvrent en général tout le spectre de la criminalité organisée, ce qui inclut la traite des êtres humains. Cela n’est donc pas propre à la lutte contre le blanchiment de capitaux.

Plus intéressant, l’infraction de blanchiment va s’organiser autour d’un organe central : la cellule de renseignement financier. C’est une agence nationale centrale responsable de recevoir, d’analyser et de transmettre des informations sur des transactions suspectes aux autorités compétentes. La cellule reçoit en général trois types de déclarations : les déclarations pour des transactions en espèces ou au-delà d’un certain montant, celles pour le transport transfrontalier de valeurs, et celles pour des transactions suspectes. Classiquement, ces obligations de transferts d’informations s’étendaient principalement aux institutions financières. Cette liste de professionnels assujettis a augmenté avec le temps, notamment sous l’impulsion des recommandations du GAFI, avec l’inclusion par exemple, des agents immobiliers, des commerçants d’art et de pierres précieuses, des notaires, des avocats… Cependant, les déclarations des nouveaux sujets demeurent limitées. De plus, en raison de son succès, il est possible de douter de la capacité de la cellule de renseignement financier à traiter efficacement la quantité d’informations qui lui est envoyée. Enfin, et malheureusement, il apparaît que les organes de l’enquête financière (notamment la cellule de renseignement financier) ne coopèrent encore que trop peu avec les organes de lutte contre la traite. Au stade de l’enquête, il s’agit donc plus de deux luttes parallèles plutôt qu’une lutte interdisciplinaire.

D’autre part, la lutte contre le blanchiment de l’argent de la traite engendre des questionnements pratiques spécifiques, à l’étape du jugement. En effet, la personne accusée de blanchiment peut se trouver être la victime de traite, car celle-ci est de plus en plus forcée à intervenir dans le processus financier, par exemple en ouvrant un compte bancaire à son nom, ou en l’obligeant à faire des retraits. Cette accusation va à l’encontre du statut de victime de traite, et la seule solution semble être une meilleure formation interdisciplinaire à ces sujets. En outre, il est fort probable que les faits de blanchiment d’argent se réalisent à l’étranger, notamment dans le cadre de la traite d’êtres humains pour renvoyer les fonds dans les pays d’origine. Il est donc important de déterminer la compétence extraterritoriale du juge. Cependant, le critère de l’extraterritorialité se fondant sur la nationalité de la victime aura du mal à s’appliquer au blanchiment d’argent, sachant qu’il s’agit d’une infraction qui « ne fait pas de victime ».

La répression du blanchiment semble donc être contre-productive, et sans réel intérêt, notamment au regard des droits de la victime, à l’exception de la mobilisation des acteurs de l’enquête financière (notamment la cellule de renseignement financier), qu’il faudrait néanmoins mieux formés aux problématiques de la traite.

Cependant, l’enquête financière met bien l’accent sur un élément majeur dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et contre la traite : la saisie et la confiscation des profits criminels. Bien que l’infraction de blanchiment ne traite que du placement de biens provenant d’activités criminelles, il n’en demeure pas moins que ce phénomène entraîne de lourdes conséquences pour l’État, mais aussi pour la victime personne physique. Le blanchiment concourt à affaiblir la démocratie, l’économie, mais aussi le développement social de l’État, les délinquants infiltrant diverses strates de la société. De plus, le blanchiment, favorisant la continuité du phénomène de traite, contribue indirectement à la violation de nombreux droits fondamentaux des victimes, qui subissent des dommages physiques, moraux, mais aussi pécuniaires. L’enquête financière peut donc, pour décourager ces pratiques, fixer des objectifs en matière de confiscation, afin de mettre en déroute l’économie du crime et de permettre une correcte indemnisation de la personne physique victime de l’infraction préalable. La confiscation va éliminer la principale motivation des criminels, à savoir, le profit. De plus, elle joue un rôle essentiel dans l’indemnisation des victimes, en sécurisant des avoirs, et en pouvant servir à financer des fonds d’aide aux victimes. Force est de constater que les textes supra-nationaux relatifs à la pénalisation de la traite ne s’occupent que peu de la confiscation : il faut dès lors recourir aux textes traitant de la lutte contre le blanchiment d’argent. Les normes internationales et régionales se focalisent principalement sur des procédures de coopération internationale pour la confiscation des produits des trafiquants blanchisseurs. Néanmoins, les régimes demeurent diversifiés au niveau national, par exemple quant aux biens pouvant être confisqués ou au moment de la confiscation (avant ou après la condamnation définitive du trafiquant blanchisseur), et elle ne peut pas toujours être mise en œuvre dans le cadre des enquêtes de traite et de blanchiment d’argent. Dès lors, la confiscation apparaît aujourd’hui comme l’un des défis majeurs dans le cadre de ces deux luttes.

Un bref aperçu du volent préventif

La lutte contre le blanchiment et la traite ne peut se suffire de techniques répressives. Les mesures préventives permettent de rendre le blanchiment moins aisé, et l’infraction de traite moins profitable si les profits ne peuvent pas être blanchis.

Modalités classiques de blanchiment d'argent

Parmi les modalités classiques de blanchiment utilisées dans le cadre de la traite, les trafiquants utilisent bien souvent une couverture sociétaire pour réaliser leurs activités et dissimuler l’origine illicite des capitaux. D’une part, des entreprises peuvent accueillir les activités de traite, et/ou de blanchiment. Pour les pays réglementaristes, les maisons closes sont des sociétés tout à fait légales. Cependant, force est de constater que les personnes prostituées ne sont pas toutes là de leur plein gré, et certaines sont victimes de traite. Les autres formes de régulation de la prostitution ne sont pas exemptes de problèmes, les délinquants détournant d’autres types d’entreprises, comme des spas, des bars, etc. afin de faire fleurir leur activité illicite sous une couverture légale. Face à ces entreprises couvertures de la traite, le phénomène, voire le premier stade du blanchiment, peut être principalement décelé par les inspecteurs du travail, dont la formation est dès lors un enjeu central. D’autre part, si les entreprises couvertures de la traite permettent de blanchir leurs profits illicites au début de la chaîne de blanchiment, il existe aussi d’autres formes d’entreprises couvertures créées uniquement pour le blanchiment, notamment dans le cadre d’organisations criminelles. Les entreprises d’import-export sont notamment mises à l’avant de la scène en Chine en matière de blanchiment. Au regard de ces risques d’instrumentalisation des personnes morales, des mesures préventives spécifiques ont été adoptées : celles-ci devront être plus transparentes, et ceux qui pourraient les assister dans leurs opérations, comme les établissements financiers, devront appliquer des mesures de vigilance spécifiques. Cette recherche de transparence passe par l’enregistrement des sociétés, d’une part, et, d’autre part, mais de manière encore limitée, par la divulgation d’informations sur les bénéficiaires effectifs, informations qui devraient permettre de déterminer les personnes physiques derrière l’écran d’une ou plusieurs sociétés. Quant aux établissements financiers, qui sont aujourd’hui des interlocuteurs presque quotidiens des sociétés, ceux-ci doivent recueillir des informations spécifiques lors de leurs relations avec des personnes morales, notamment pour l’octroi des moyens de paiement, réaliser des transactions, créer un compte bancaire… Toutes ces mesures préventives se retrouvent dans les recommandations du GAFI, mais sont mises en œuvre au niveau national avec des différences notables selon les pays.

Avec le développement du secteur financier au niveau mondial, celui-ci a été et est encore un secteur à son tour propice au blanchiment, les blanchisseurs ayant appris à profiter de ses outils pour réinjecter les profits dans l’économie légale. En réponse, nous assistons aujourd’hui à une régulation développée du secteur, afin d’en éviter les dérives, en moralisant le système avec la menace de la sanction et du salissement de leur réputation. Ce phénomène de gouvernance financière provient du modèle anglo-saxon, partant du constat que les banques « sont mieux placées que l’État pour surveiller les transactions financières [et] pallier d’asymétrie d’information » [Kopp, 2006, p. 21 et suivantes] dont il souffre. Parmi les nombreuses normes préventives applicables aux établissements financiers, il est possible de souligner des règles relatives au devoir de vigilance, général pour l’identification des clients, et renforcé dans des situations à risque. Cette connaissance du client est fondamentale, afin de déterminer si celui-ci est un trafiquant, ou s’il s’agit d’une victime de traite. En effet, les trafiquants utilisent de plus en plus les victimes dans leurs schémas de blanchiment, afin de détourner ces contrôles du secteur financier. Les mesures de prévention renforcées seront particulièrement importantes, en matière de traite, en cas de virements électroniques, un moyen d’envoi de fonds classiques dans le cadre de ces réseaux. Afin que les établissements financiers respectent toutes ces mesures de prévention, plusieurs moyens de contrôle doivent être mis en place, notamment des contrôles internes, par le biais de la compliance anglo-saxonne, mais aussi, de manière plus classique, par des sanctions étatiques pour non-respect des mesures de vigilance ou des obligations de déclarations.

Autres modalités traditionnelles de blanchiment

Suite au constat des nombreuses opportunités de blanchiment au sein du secteur financier, et à la forte régulation dudit secteur, les blanchisseurs se tournent de nouveau vers d’anciennes méthodes de blanchiment, très diverses et utilisant majoritairement des espèces. L’avantage de la monnaie fiduciaire apparaît face aux opérations bancaires traçables : il est beaucoup plus difficile de tracer l’origine de l’argent liquide. Parmi ces autres modalités traditionnelles de blanchiment, il est possible de relever : les systèmes bancaires informels, ou parallèles, l’investissement dans des biens de grandes valeurs, ou encore l’utilisation de passeurs de fonds. Ces méthodes sont utilisées dans des proportions différentes et selon les zones géographiques, en raison de préférences culturelles, mais aussi par opportunité selon les contrôles étatiques.

Les systèmes de transferts de fonds informels, aussi appelés hawala ou hundi, agissent en parallèle du système financier traditionnel, en se fondant sur un code d’honneur et de réciprocité des prestataires de ces services. Ils sont très développés notamment en Asie. Il s’agit d’un processus de paiement immédiat, particulièrement utilisé par les travailleurs migrants, et d’un apport de fonds non négligeable dans les pays en développement, dont l’économie est basée sur la monnaie fiduciaire. En raison d’une j278incompréhension du fonctionnement de ces systèmes, les systèmes bancaires informels demeurent peu régulés, d’autant qu’ils peuvent différer selon les pays. Ces systèmes s’appuient principalement sur d’autres sociétés pour réaliser ce genre d’opérations. Selon les normes du GAFI, ces sociétés devraient avoir un agrément pour réaliser ces transferts. Ainsi, dans certains pays, les institutions financières sont les seules à pouvoir effectuer ces opérations, et les systèmes informels de transfert sont donc illégaux ; dans d’autres pays, bien que ces systèmes soient interdits, une certaine tolérance existe. Au niveau européen, les pays doivent réguler les prestataires de services de paiement en les soumettant à un agrément. En parallèle, les sociétés effectuant ces opérations sans agrément s’exposent à un risque de sanction, notamment pénale. Ainsi, les systèmes bancaires informels sembler présenter le plus de difficulté parmi les modalités classiques de blanchiment, dans les pays où les systèmes de paiement en dehors du monopole bancaire sont encore peu régulés.

L’investissement dans des biens à forte valeur ajoutée afin de blanchir de l’argent est présent, particulièrement dans des pays développés et en Europe, principalement dans certains secteurs spécifiques : les voitures, l’immobilier, les pierres et métaux précieux. Ainsi, dans le cadre de l’achat de voitures ou de biens immobiliers, pour complexifier le schéma de blanchiment, les biens seront très certainement enregistrés sous des faux noms, ou pour des personnes différentes de l’acheteur. L’achat d’or et d’autres métaux et pierres précieux profite de l’absence généralisée ou presque de régulation. De plus, ces commerces ont aussi tendance à offrir des services illicites de change de monnaie ou de transfert de fonds, sans les agréments obligatoires. Afin de répondre à ces risques, les mesures préventives du GAFI incitent à étendre le champ des professions assujetties, afin d’inclure les agents immobiliers, mais aussi aux négociants en métaux précieux et en pierres précieuses. Les traductions nationales demeurent inégales quant aux recommandations sur les professions assujetties non financières. Au niveau de l’Union européenne, la législation prévoit, sous réserve de certaines spécificités, que les agents immobiliers aient les mêmes obligations que les établissements financiers. Les autres professions peinent à faire leur entrée dans la liste des professionnels assujettis, comme les vendeurs de métaux précieux.

La dernière modalité traditionnelle de blanchiment évoquée est l’usage de passeurs de fonds, peut-être l’une des méthodes les plus anciennes de blanchiment. Ceux-ci facilitent des paiements ou l’envoi d’argent dans les pays d’origine des délinquants. Il peut s’agir d’une personne utilisée pour une transaction en particulier, ou un passeur lié au groupe criminel. L’augmentation des transports physiques d’espèces peut notamment s’expliquer par le filet de la lutte contre le blanchiment qui se resserre autour des délinquants, à grand renfort de déclarations de soupçons. Néanmoins, les passeurs de fonds ne pourront transporter l’argent que dans des pays géographiquement proches, ce qui rend cette modalité de blanchiment seulement attractive au stade du prélavage. Cette modalité de blanchiment tend à être évitée par le biais de déclarations aux frontières, et les contrôles douaniers parallèles. Ainsi, aux frontières extérieures de l’Union européenne, le règlement 1889/2005 prévoit la déclaration d’espèces et d’instruments négociables au porteur d’au moins 10 000 euros. Certains pays européens, comme la France, ont aussi mis en place des systèmes de déclarations similaires au niveau intra-européen. Les agents des douanes jouent ainsi un rôle primordial dans le cadre de contrôles à la frontière. Cependant, cela suppose que les blanchisseurs traversent les frontières par les chemins légaux, ce dont nous pouvons douter.

Défis actuels sur certaines modalités de blanchiment

À l’instar de la loi qui évolue, les groupes criminels s’adaptent, de plus en plus rapidement, à la demande de services sexuels, mais aussi aux mesures préventives, cherchant plus de flexibilité et des modalités de blanchiment plus sûres. Dans cette tâche, les blanchisseurs profitent d’anciens défis toujours d’actualité, à savoir, la corruption, mais aussi développent un usage détourné des nouvelles technologies : il s’agit aujourd’hui d’un des défis majeurs de la traite mais aussi du blanchiment [Jovanovic, 2018, p. 43]. Les techniques préventives du blanchiment d’argent dans le cadre de la traite trouvent encore de nombreuses limites face aux défis actuels.

Les défis relevant de l’évolution des technologies, comme avec la diffusion des cartes prépayées et des cryptomonnaies, relèvent d’un constat classique en droit pénal : le législateur peine à suivre l’évolution des pratiques criminelles, et réagit souvent avec un temps de retard. Pourtant, ces nouvelles technologies pourraient s’avérer un atout pour l’enquête financière dans le cadre de la traite d’êtres humains, en fournissant de nouveaux outils et de nouvelles sources de preuve. Le législateur devrait donc, au lieu de laisser des autorités publiques interdire des nouvelles technologies en faisait fi de la réalité, élaborer un régime juridique adéquat, en conciliant le développement économique et l’innovation avec la lutte contre le blanchiment de l’argent de la traite. Ainsi, si le consommateur bénéficie de méthodes de paiement de plus en plus variées grâce aux nouvelles technologies, le blanchisseur en profite aussi, en utilisant d’ailleurs bien souvent les victimes de traite pour se dissimuler. Les nouvelles méthodes de paiement incluent notamment les cartes prépayées, et les cryptomonnaies. L’usage de cartes prépayées comme moyen de paiement a constamment progressé ces dernières années, et leur utilisation par les blanchisseurs a été décelée, notamment dans le cadre de la traite [GAFI, 2010, p. 15 ; EUROPOL, 2015, p. 8]. Elles peuvent être utilisées pour transférer des capitaux d’un pays à un autre, aux premiers stades du blanchiment, ou pour acheter des biens ou des services, au stade final du blanchiment. Les cartes prépayées, mais aussi les systèmes de paiement par Internet, comme Paypal ou les paiements par téléphone, ne sont pas toujours reliés à un compte bancaire classique, et leur utilisation au niveau transfrontalier s’est développée : les « comptes » n’étant pas ouverts au sein d’un établissement bancaire classique, il s’agit d’une alternative au système financier traditionnel. D’autre part, les cryptomonnaies, ou actifs virtuels, sont la représentation électronique d’une valeur qui peut électroniquement être utilisée pour réaliser des échanges. Les cryptomonnaies se distinguent des « fiat currencies », c’est-à-dire de la monnaie nationale en espèces, reconnue légalement comme devise ; et des « e-money », ou monnaies électroniques, qui sont la représentation électronique de la monnaie nationale. Parmi les cryptomonnaies, il existe celles convertibles, et celles non convertibles en devises nationales. Les cryptomonnaies sont des monnaies décentralisées, c’est-à-dire sans autorité de contrôle telle qu’une banque centrale. Face à ces évolutions, la législation anti-blanchiment tente tant bien que mal de se moderniser, et la prise en compte des nouvelles technologies dans la législation suppose de réfléchir aux problèmes spécifiques qui en découlent, à savoir : la neutralité technologique (la technologie en soi n’est ni bonne ni mauvaise ; de plus, elle ne peut souvent pas être rattachée à une souveraineté et une juridiction nationale unique), la régulation des prestataires de services et l’identification des clients, la preuve électronique et l’enquête informatique, et enfin, la confiscation informatique. Les dispositions nationales sur le sujet sont encore très variées, sachant que ces évolutions ont été récemment prises en compte en France, par la loi PACTE, au niveau de l’Union européenne, par la directive 2018/843, et au sein du GAFI par la révision de la note interprétative relative aux nouvelles technologies en octobre 2019. Ces réformes sont donc très récentes, et leur efficacité pratique doit encore être démontrée.

D’autre part, un second défi contemporain du blanchiment dans le cadre de la traite est la forte corruption de ces milieux. La corruption, entendue de manière large, va permettre de renforcer l’efficacité du blanchiment, mais aussi de la traite en sa forme d’exploitation sexuelle, en impliquant des représentants du pouvoir, des agents de l’État, ou des professions juridiques censées appliquer une certaine déontologie, afin de favoriser une apparence de légalité. Sans cette corruption, ces trafics auraient beaucoup plus de mal à exister [Shelley, 2003, p. 129]. Malgré les débats qui agitent notamment les avocats depuis que les mesures préventives se sont étendues aux professions juridiques, l’usage de celles-ci dans le processus de blanchiment, notamment dans le cadre de la traite, est pourtant avéré. Les activités des professions juridiques sont diverses. Ainsi, le GAFI prévoit d’assujettir les « avocats, notaires, autres professions juridiques indépendantes et comptables », mais leurs obligations de lutte contre le blanchiment varient selon leurs activités. Il ne s’agit donc pas d’un assujettissement général. Ces limitations se retrouvent au niveau national, et son efficacité pratique est souvent remise en cause, au regard des constatations venant des professionnels. D’autre part, le phénomène de traite met souvent en jeu des agents publics, qui ferment les yeux, voire profitent ou organisent des réseaux d’exploitation sexuelle. Ainsi, certains agents publics seront plus à même de vouloir blanchir l’argent provenant de cette corruption, provenant des profits de la traite. Dès lors, les mesures de lutte contre le blanchiment prévoient un devoir de vigilance approfondi pour les personnes politiquement exposées, à savoir les « personnes qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans un pays étranger, par exemple, les chefs d’État et de gouvernement, les politiciens de haut rang, les hauts responsables au sein des pouvoirs publics, les magistrats et militaires de haut rang, les dirigeants d’entreprise publique et les hauts responsables de partis politiques », et les « personnes physiques qui exercent ou ont exercé d’importantes fonctions publiques dans le pays » ou « au sein de ou pour le compte d’une organisation internationale ». Il s’agit d’une définition assez restreinte, qui peine à englober toute la réalité de la corruption dans le cadre de la traite des êtres humains. D’autres solutions devraient être recherchées pour compléter ce système. Ainsi, il est possible d’en revenir au droit pénal, qui peut permettre de dissuader les agents, tant publics que privés, de s’engager dans une infraction de corruption. Du volet préventif, nous en revenons donc au volet répressif, dans une sorte de cercle vicieux qui ne sait pas où s’arrêter, les deux volets apparaissant nécessaires pour lutter contre le blanchiment et la corruption dans le cadre de la traite, tout en alourdissant leur régime juridique et contribuant ainsi à l’émiettement de son efficacité. n

Bibliographie

Anti Money Laudering Office (AMLO - Thaïlande), 2018, Annual Report 2017.

Aronowitz (A.), 2009, Human Trafficking, Human Misery The Global Trade in Human Beings.

BELSER (P.), 2005, Forced Labor and Human Trafficking: Estimating the Profits, Étude pour l’Organisation international du travail.

Commission Européenne, 2012, Communication from the Commission to the European Parliament, the Council, the European Economic and social committee and the committee of the regions, The EU Strategy towards the Eradication of Trafficking in Human Beings 2012 – 2016.

Cutajar (C.), 2010, « Fasc. 20 : Blanchiment. – Éléments constitutifs. – Répression », Jurisclasseur Pénal des Affaires.

Davoust (D.), 2002, « La lutte contre le blanchiment de capitaux : une action menée au plan international, européen et national », Petites affiches.

Dumoulin (L.), 2014, « Lutte contre la traite des êtres humains : l’approche financière en question », RSC.

Farms (G.), 2017, 25 Keys to Unlock the Financial Chains of Human Trafficking & Modern Slavery, United Nations University.

HOLMES (L.), 2009, «Human Trafficking & Corruption: Triple Victimisation? », Strategies Against Human Trafficking: The Role of the Security Sector, Cornelius Friesendorf Ed.

Interpol, 2018, Rapport annuel 2017.

Jovanovic (M.), 2018, Comparison of Anti-Trafficking Legal Regimes and Actions in the Council of Europe and ASEAN: Realities, Frameworks and Possibilities for Collaboration, étude pour le Conseil de l’Europe.

Kopp (P.), 2006, « La lutte contre le blanchiment », Analyse économique comparée de la lutte anti-blanchiment : droit continental versus Common Law, Chaire Régulation de Science Po

Manacorda (S.), 1999, « La réglementation du blanchiment de capitaux en droit international : les coordonnées du système », RSC.

Rapport Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme (Belgique), 2011, Rapport Annuel 2011, Traite et trafic des êtres humains : l’argent qui compte.

Rapport Department of state et Office to monitor and combat trafficking in persons (États-Unis), 2018, Trafficking in persons report.

Rapport EUROPOL, 2015, The Trafficking in human beings financial business model, Assessing the Current State of Knowledge.

Rapport EUROPOL, 2016, Situation Report Trafficking in human beings in the EU.

Rapport Fondation Scelles, CHARPENEL (Y.) (dir.), 2016, 4e Rapport mondial Prostitutions Exploitations, Persécutions, Répressions.

Rapport GAFI - APG, 2018, Financial Flows from Human Trafficking.

Rapport GAFI, 2010, Money Laundering Using New Payment Methods.

Rapport Moneyval et Conseil de l’Europe, 2005, Proceeds from trafficking in human beings and illegal migration/human smugglings.

Rapport OSCE - Coordinateur de lutte contre le trafic des êtres humains, 2010, Combating trafficking as moder-day slavery: a matter of rights, freedoms and security.

Rapport OSCE et UN. GIFT, 2010, Analysing the business model of trafficking in human beings to better prevent the crime.

Rapport OSCE, 2014, Leveraging Anti-Money Laundering Regimes to Combat Trafficking in Human Beings.

Rapport UNODC, 2011, Estimating illicit financial flows resulting from drug trafficking and other transnational organized crimes.

Rapport UNODC, 2019, Global report on trafficking in persons 2018.

Renshaw (C.), 2006, «Human Trafficking in Southeast Asia: Uncovering the Dynamics of State Commitment and Compliance», Michigan Journal of International Law, Vol. 37.

Riffault (J.), 1999, « Le blanchiment de capitaux illicites. Droit comparé », RSC.

Ryszard (P.), 2017, «ASEAN takes on trafficking in human beings», Australian Law Journal, Vol. 91.

Shelley (L.), 2003, «Trafficking in Women: The Business Model Approach», Brown Journal of international affairs, Vol. X, Issues I.

Shelley (L.), 2010, Human Trafficking A Global Perspective.

Van Liemt (G.), 2004, Working Paper 31: Human Trafficking in Europe: An Economic Perspective, Étude pour l’Organisation international du travail.

Derrière cet article

Salomé Lannier En savoir plus

Salomé Lannier

Fonction Doctorante en droit privé et sciences criminelles